La crise actuelle du capitalisme occidental a exacerbé la boulimie et accentué le déferlement vers les ressources extractives stratégiques des pays africains, particulièrement ceux de la zone sahélienne dite des "trois frontières".
Parler des ressources extractives (mines, pétrole et gaz) dans le Sahel africain, en relation avec les réalités géopolitiques mondiales, reviendrait d’une part à examiner la place que tiennent ces richesses du sous-sol dans la géographie et l’économie de la sous-région et d’autre part à explorer les réalités géopolitiques, avant de rechercher les liens ou corrélations entre les deux. En effet, au nom d’objectifs "humanitaires" ou d’une prétendue "lutte contre le terrorisme islamiste", notre sous-région est en proie depuis un peu plus d’une décennie, à une ruée des puissances étrangères sous diverses formes, en particulier par des interventions militaires dans les zones identifiées riches en ressources minières (métaux rares et stratégiques) et énergétiques (pétrole, gaz, uranium, hydrogène,…). .
Cette doctrine a été élaborée par l’impérialisme occidental et tragiquement mise en œuvre en Libye (meurtre de Kadhafi et déchirement du pays) en 2011 par la France sarkozienne sous couvert de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Force est de constater que le but exact de l’intervention des avions militaires français n’était nullement la protection de la population libyenne ou d’une quelconque restauration de la démocratie, mais participait plutôt d’une volonté d’assurer la mainmise des entreprises occidentales sur les ressources naturelles extractives et énergétiques du pays et au-delà des pays du Sahel, voire ceux de la côte occidentale africaine.
Richesses "sous tutelle"
Depuis, la zone ouest-africaine n’a connu aucun moment de stabilité : coups d’Etat au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, insécurité et tentative de balkanisation du Mali, insécurité au Niger, au Burkina Faso, etc… Les poches de conflits se multiplient dans la région et s’étendent même vers les pays côtiers (Bénin, Côte d’Ivoire, Togo…) sur fond de menaces d’ingérence étrangère. Ces conflits en Afrique de l’Ouest couplés à la guerre russo-ukrainienne (qui a coupé l’approvisionnement de à l’Europe de l’Ouest en hydrocarbures à partir de la Russie) a créé un besoin accru en ressources énergétiques et minières stratégiques, notamment les "métaux rares" dans les pays développés.
Faut-il le rappeler? en 2010, à la suite d’un différend territorial entre la Chine et le Japon concernant les îles Senkaku, la Chine, gros pourvoyeur de "terres rares", a alors décrété un embargo sur leur exportation vers le Japon et aussi décliné cet embargo en quotas d’exportation vers les autres pays du monde, notamment l’Europe Occidentale. Cela a fortement pénalisé l’industrie high-tech dans tous ces pays, entraînant, dans son sillage, une forte hausse des prix de ces minerais stratégiques et critiques dans le monde.
C’est alors que l’Union Européenne a renforcé son plan d’action d’approvisionnement en ces produits avec l’établissement de la première liste européenne des matières premières extractives dites "critiques". L’enjeu était donc de sécuriser les chaînes d’approvisionnement et ceci, par la prise de parts dans des mines, la création de stocks stratégiques et aussi l’identification et la sécurisation des gisements se trouvant dans des pays "sous-tutelle" qui ignorent que de telles richesses, enfouies dans leurs sous-sols, revêtent une importance stratégique et économique non-négligeable.
En Afrique de l’Ouest en général et dans la zone sahélienne dite des "trois frontières" en particulier, connues pour être l’une des régions les plus pauvres au monde, les richesses du sous-sol, ne manquent pas, et les ressources énergétiques (pétrole, gaz, uranium, hydrogène…) et ressources minières (minerais stratégiques et critiques…) présentes sont autant de bonnes raisons qui font de la région "un espace de convoitises" qui "attise les appétits des grands groupes internationaux", comme l’a anticipé le journal "l’Humanité " du 10 janvier 2011.
"Scandale géologique"
Au vu du potentiel en ressources extractives exceptionnellement abondant et diversifié, les experts disent de cette zone un "scandale géologique"; mais d'aucuns envisagent même d’étendre cette qualification à l’ensemble de la partie subsaharienne du continent. Hier, comme aujourd’hui, l’environnement extractif ouest-africain est envahi, entre autres par les majors français Orano, TotalEnergy, les américaines ConocoPhilips, AngloAmerican, AngloGold Ashanti, BHP Billiton, Rio Tinto, la chinoise CNCP et d’autres juniors canadiennes, américaines, australiennes, anglaises, de très tristes réputations, et/ou engluées dans de nombreux scandales politico-financiers et du reste très peu recommandables.
Ces juniors minières qui vendent du bluff aux gouvernements africains peu regardants sont pour l’essentiel des "one penny stock" des pays développés (les "one penny stock" sont des actions ordinaires de petites entreprises minières (entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée) peu crédibles qui se négocient à moins d'un dollar par action à la Toronto Stock Exchange. Il faut noter que les bourses de valeurs mobilières de Toronto, Vancouver et Calgary au Canada sont trop complaisantes en ce qui concerne la cotation des petites compagnies minières débutantes et qui font généralement leurs premières expériences dans l’exploration minière en Afrique subsaharienne.
Ces juniors minières sans moyens conséquents, parfois sans personnel, ni bureaux, appartenant à des actionnaires anonymes, immatriculées dans des paradis fiscaux, parviennent, avec forces promesses et mises en scène, à convaincre des gouvernements africains de leur confier des concessions minières très stratégiques. Une fois le contrat en poche, ces sociétés se précipitent sur ces mêmes bourses de valeurs pour valoriser leurs titres africains tout en échappant à toute obligation fiscale, juridique, environnementale, sociale ou sanitaire et empochant des plus-values confortables avant même qu’un seul coup de pioche ne soit (peut-être ne le sera jamais) donné dans le pays ainsi arnaqué. Aussi, aucun penny (pour ne pas dire FCFA) ne sera investi en dehors peut-être de quelques 1 ou 2 millions de dollars de "dessous de table", nécessaires pour l’accélération du processus de signature d’octroi de permis.
Les places canadiennes (avec les bourses de valeurs de Toronto et de Vancouver) sont pour l’industrie extractive mondiale, exactement ce que sont Genève et Zurich pour l’industrie bancaire et les finances en matière d’évasions fiscales, de blanchiment de capitaux et de secrets bancaires. Au cours de ces trente dernières années, le Canada s’est progressivement révélé un redoutable paradis réglementaire, juridique et fiscal de l’industrie minière mondiale. Nombreuses sont ces sociétés qui écument le continent africain. Nous avons encore en mémoire plus de 150 permis de recherches minières distribués à la va-vite dans les zones du Liptako-Gourma, Sud Maradi, Air, Djado et dans le bassin de Tim Mersoi, à 42 sociétés (fictives pour certaines) originaires de 12 pays dans les années 1995-96 et qui finalement se sont avérés comme un feu de paille. Que sont devenus les 154 permis de recherches minières gracieusement attribués par le gouvernement du Niger d’alors et où sont passées les sociétés bénéficiaires de ces permis ?
Il y a lieu de souligner ici le cas d’une de ces juniors qui a encore pignon sur rue en Afrique : la sulfureuse Savannah Energy PLC qui était, il y a quelques jours seulement, au centre d’une affaire qui a mis à mal les relations diplomatiques entre le Cameroun et le Tchad. En effet, dans un communiqué en date du 23 Avril 2023, la présidence de la République du Tchad s’est indignée du différend qui a éclaté entre le Cameroun et le Tchad, autour de la question d’une prétendue acquisition des actifs de l’ex-ESSO-Tchad par la Savannah Energy PLC ; et N’Djamena d’accuser Yaoundé de soutenir une prise de contrôle illégale de ses actifs pétroliers sur son territoire.
Du changement dans l'air
Depuis une dizaine d’années, le nombre de compagnies minières nord-américaines et européennes qui opèrent en Afrique est en très forte hausse. Au plus grand jour de cette situation, est apparue la rivalité franco-étatsunienne qui s’active dans le Sahel en prise avec toutes sortes de fléaux savamment créés et entretenus et qui servent d’alibi pour légitimer la stratégie sécuritaire et l’installation de bases militaires.
Il est temps que les citoyens burkinabés, maliens et nigériens comprennent que la persistance de l’insécurité, de la violence et de la présence des forces militaires étrangères sur leurs territoires n’ont d’autres motivations que l’appétit dévorant, la sécurisation des approvisionnements en ressources énergétiques et minérales déjà en exploitation (l’uranium du Niger, l’or du Mali et du Burkina Faso…) et les tentatives des puissances étrangères de mettre la main sur les très stratégiques ressources non encore exploitées (des accords léonins de recherches minières récemment signés dans certains pays).
Le niveau de développement de certaines technologies de pointe durant la période coloniale et post-coloniale, n’avait pas alors permis l’exploitation de ces ressources, mais aujourd’hui le contexte international l'exige, et les pays occidentaux font feu de tout bois pour mettre la main sur ces ressources. Le niveau de prise de conscience et la lutte de la jeunesse africaine semblent contrecarrer les velléités de l’impérialisme occidental. La page du pillage en règle des ressources du sous-sol des pays sahéliens par les puissances prédatrices occidentales semble désormais en voie d’être définitivement tournée.
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