Le Président Chinois Xi Jinping a appelé les dirigeants du G20 à s’opposer fermement à une instrumentalisation des produits alimentaires et de l’énergie tout en réclamant la levée des sanctions notamment celles qui touchent la Russie. Comment expliquez-vous le fait que la question de la crise énergétique soit à ce point liée par la sortie de la crise de la guerre russo-ukrainienne ?
Il y a des liens très étroits entre la guerre en Ukraine et la crise énergétique actuelle. La guerre en Ukraine a des impacts très forts sur à peu près tout le spectre du secteur énergétique : le pétrole, le gaz naturel, le charbon, le nucléaire et l’électricité. On se souvient de la centrale nucléaire de Zaporijia et des bombardements russes intenses sur les infrastructures électriques en Ukraine. Il est donc logique de se dire que si l'on veut essayer de résoudre la crise actuelle de l'énergie, il faut essayer de trouver des solutions à la guerre. D'autant plus que l'un des deux participants à cette guerre, la Russie, est une puissance énergétique majeure. La Russie a les plus grosses réserves gazières prouvées au monde. La Russie a également les sixièmes réserves pétrolières prouvées dans le monde et, enfin, c'est un grand pays de charbon. Donc, il y a une intrication majeure entre cette guerre et les questions énergétiques.
Admettons que la guerre se poursuive durablement, quelles seraient, selon vous, les conséquences pour la France et l'Europe sur le plan énergétique ?
Certes, il y a des signaux en faveur d'un cessez-le-feu, mais ces signaux sont encore assez faibles à mon avis. Donc le scénario le plus probable, malheureusement, c'est la poursuite de la guerre. Pour combien de temps ? Évidemment, personne ne le sait. L’Union Européenne est évidemment aux premières loges, si je puis dire, par rapport à la guerre en Ukraine. Il y a d'abord l'Ukraine, bien sûr, mais l'Union européenne est aux côtés de l'Ukraine. Et l'Union européenne achète, depuis dizaines d'années, beaucoup d'énergies fossiles à la Russie : pétrole, produits raffinés, gaz naturel, charbon. Mais dans le cadre de la guerre en Ukraine, l'Union Européenne a décidé collectivement, au printemps 2022, de se passer complètement à moyen terme, voire à court terme, du pétrole russe mais aussi des produits raffinés, du gaz naturel et du charbon de la Russie.
C'est un défi unique dans l'histoire de l'Union Européenne, sans précédent, eu égard au poids que représentait la Russie il n'y a pas si longtemps encore, début 2022, dans les approvisionnements énergétiques européens pour les trois énergies fossiles : pétrole, gaz naturel, charbon. Cela génère un problème d'approvisionnement, il faut trouver d'autres fournisseurs. Il faut baisser la consommation, notamment gazière. Et par ailleurs, il y a un problème de prix car la guerre a poussé à la hausse les prix de l'énergie pétrole et donc carburant, gaz naturel, charbon, électricité. L’Union européenne a mis en place une stratégie avec un certain nombre d'actions concrètes comme aller chercher des énergies fossiles ailleurs qu'en Russie; essayer de réduire la consommation européenne, notamment de gaz; essayer de remplacer le gaz par d'autres sources d'énergie notamment, mais pas uniquement, les renouvelables; augmenter au maximum les stocks gaziers pour l'hiver 2022-2023; renforcer la solidarité intra européenne en matière énergétique, particulièrement en matière gazière et essayer de protéger les populations européennes et les entreprises européennes des effets négatifs d'une flambée des prix de l'énergie en Europe.
Quelle analyse faites-vous des projets alternatifs pour répondre aux besoins énergétiques européens comme ceux du Maroc et de l’Algérie avec le Nigéria mais aussi celui de "Hub gazier" de la Turquie ?
Pour reprendre des termes que l'on utilise dans la course automobile, je dirais que les trois projets que vous avez évoqués ne sont pas en pole position du côté européen et pour des raisons parfois différentes. Pour le projet de hub gazier à travers la Turquie, si, du point de vue des Européens, c'est pour faire passer par la Turquie plus de gaz russe, la réponse est d'ores et déjà non, puisque l'Union européenne a décidé en mars 2022 de s’en passer complètement. Si par contre, à travers la Turquie, on fait passer plus de gaz venant d'autres pays comme ceux du Moyen-Orient, évidemment la perception européenne peut être différente. Il y a déjà par exemple le gazoduc qui vient de la mer Caspienne, Azerbaïdjan et Géorgie, qui passe par la Turquie ensuite l’Union Européenne et arrive jusqu'en Italie. L’Azerbaïdjan est un pays qui a conclu un accord avec l'Union européenne au cours de l'été pour, d'ici 2027, augmenter ses livraisons de gaz à l'Union Européenne via ce qu'on appelle le corridor Sud. Il y a trois gazoducs pour le corridor sud.
Pour les deux projets partant du Nigéria, l'un étant Nigeria, Niger, Algérie, Méditerranée, Union Européenne, l'autre étant Nigéria, Afrique de l'Ouest, Afrique du Nord-ouest, Maroc, Méditerranéen, Union Européenne. Ces deux projets ont un problème de calendrier et, du point de vue européen, l'Union européenne veut se passer complètement du gaz russe dans les cinq ans qui viennent. Elle cherche donc d'abord du gaz de la part de pays producteurs et exportateurs de gaz qui pourrait fournir plus de gaz à court et moyen terme, ce qui n'est pas forcément le cas de ces deux projets. Les priorités européennes actuelles sont d’aller chercher plus de gaz naturel liquéfié aux Etats-Unis, en Méditerranée orientale (en Israël et en Egypte), en mer Caspienne (Azerbaïdjan, Géorgie et Turquie), en Algérie, au Nigéria, au Mozambique, au Sénégal, en Mauritanie, au Canada au Qatar etc. Les Européens ont une urgence de court et de moyen terme et par conséquent leur priorité c'est de discuter avec des pays et autour de projets qui ont une probabilité forte de pouvoir livrer plus de gaz à l'Union Européenne dans un délai entre fin 2022 et 2027.
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