Est-ce que l'on assiste à une victoire de la contre-offensive ukrainienne ou une guerre d’usure voulue par la Russie ?
La déroute a commencé, je le crois, dès le premier jour de "l'invasion" russe de l'Ukraine, le 24 février. La déroute est aussi bien morale que géopolitique, car on s'est rendu compte très rapidement des limites de l'armée russe, son manque de motivation et le moral très affecté des soldats russes. Ensuite, je ne considère pas la dernière contre-offensive comme la première. La première avait permis la récupération de toute la région au nord de Kiev avec l'aide de l'armement de l’OTAN sans oublier l'aide des satellites américains. Avec les informations communiquées par les Américains, les Ukrainiens ont réussi quand même à repousser l'armée russe vers les frontières dans le nord de la ville de Kiev. Maintenant, il y a cette avancée remarquable de l'armée ukrainienne à l'est et au sud-est de l'Ukraine. Cela se passe désormais sur un territoire prétendument russe et la reprise de la ville de Lyman a eu lieu le lendemain de la signature par Poutine de l'annexion des quatre régions ukrainiennes. Donc, du point de vue du symbole et sur le terrain, c'est aussi très important, mais cela ne devrait pas durer longtemps. La Russie a appelé 300 000 soldats réservistes alors que l’Ukraine a mis tous ses hommes dans la guerre et ne dispose pas de réserves. L’Ukraine dispose seulement d'armements très développés et un moral assez fort pour défendre sa nation. Alors, si les choses n'avancent pas beaucoup d'ici fin novembre, la Russie pourra continuer sa guerre d'usure et profiter de l'arrivée de l’hiver.
La Russie a abattu une carte dans cette guerre en organisant des référendums dans 4 régions ukrainiennes. Quelles sont les conséquences, finalement, du rattachement à la Fédération de Russie de ces quatre régions ukrainiennes ?
Alors, d'un point de vue du droit international, c'est tout à fait illégal. Mais en même temps, le droit international, du moins ceux qui l’appliquent, le font avec beaucoup d’hypocrisie. J’en veux pour preuve les annexions du Golan et de Jérusalem qui n’ont pas fait l’objet des mêmes réactions. C'est ce détail, très important, qui montre un peu le double standard chez les Occidentaux. Mais bon, passons et revenons à cette opération illégale que Poutine a voulu jouer comme carte. En vérité, il ne lui reste que très peu de cartes. Malheureusement, ce qui fait peur, c'est qu’après celle-ci, il ne lui reste que celle de l'arme chimique ou de l'arme nucléaire tactique. Et étant donné le développement de la situation, il est fort possible qu'il ait recours à cette arme à l'intérieur des territoires ukrainiens. Ce qui oblige l'Europe à ne pas réagir parce que l'Europe n'est pas concernée. L’Union Européenne a toujours dit qu’elle n’était pas en guerre avec la Russie, mais contre la Russie dans sa guerre avec l'Ukraine. La gestion de ce problème dépend aussi des élections sénatoriales, aux Etats-Unis, parce qu'en novembre le Congrès peut changer de majorité. On pourrait avoir beaucoup plus de conservateurs. On se rappelle que Trump était très proche de Poutine même s'il essayait de montrer le contraire. On observe également que l'Europe est en train de se diviser avec la montée de l'extrême droite proche de Poutine en Italie, en Suède et en France. En France, il y a quand même 89 députés d'extrême droite qui vantaient les mérites de Poutine, il y a à peine quelques mois. Tout cela, ça donne une situation très incertaine pour l'avenir.
Ce conflit, entre la Russie et l'Ukraine, provoque des ondes de choc dans le monde entier. En quoi ce qui se passe actuellement en Ukraine pourrait favoriser, par exemple, une résolution du conflit en Syrie ?
Je crains que ça risque d'être le contraire. Une pacification du front russo-ukrainien risque d'être fait contre la pacification de la scène syrienne. Qu’est-ce à dire ? On peut donner à la Russie la Syrie comme l’a fait Obama qui a sous-traité la Syrie aux Russes. La Russie contre la Syrie, ce n'est pas trop offensant et risqué surtout pour Israël, le pays le plus protégé par l'Occident dans la région. Israël n'est pas du tout contre la présence russe en Syrie et peu d’acteurs hormis les Syriens sont finalement dérangés. Je ne parle pas du peuple syrien et du régime syrien qui n'ont aucune influence et aucune souveraineté, mais des forces principales dans la région : Israël, l'Iran, la Turquie. La Turquie essaye de faire la médiation dans la guerre russo-ukrainienne. Elle a réussi pour l'accord de l'exportation des produits alimentaires. Elle essaye maintenant d'amener les Russes et les Ukrainiens à une table de négociations, ce qui, à mon avis, risque d'être difficile.
Quelles sont les forces et les visions politiques qui s’affrontent en Syrie ?
Ce qui se passe maintenant en Ukraine est presque une copie conforme de ce qui s'est passé en Syrie d'un point de vue stratégique. Avant l’Ukraine, la Syrie a été le laboratoire de la Russie pour expérimenter ses armes. On a utilisé en Syrie des armes pour la première fois et c'était beaucoup plus facile de les expérimenter en Syrie que d’aller le faire en Sibérie. Aussi, l'évacuation des villes par les bus, les couloirs dits humanitaires, les tapis de bombes ont tous été expérimentés en Syrie, à Alep en 2016 puis à Marioupol en 2022 en détruisant toute la ville. Il y avait la même logique guerrière. Cependant, la grande différence est que, face à eux en Ukraine, ce n'était pas l'opposition syrienne mais l'OTAN, ses moyens de renseignement, ses moyens techniques et tactiques sans oublier l’entraînement des soldats ukrainiens depuis 2014. On voit très bien sur le terrain cette différence entre une école qui fonctionne encore sur le renseignement militaire de la Deuxième Guerre mondiale et une école militaire très moderne. On a vu des groupes ukrainiens qui bougeaient d'une manière très facile en utilisant les drones turcs, tandis qu’en face, des soldats russes couraient dans tous les sens pour les fuir. Ces drones Bayraktars ont démontré leur efficacité sur le terrain militaire.
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