S’il ne voit pas d’issue à court terme, Jean de Gliniasty, ancien ambassadeur de France en Russie et directeur de recherches à l'Ifri, rappelle que les voies de la diplomatie doivent être privilégiées. Un propos qui fait écho à celui d’Emmanuel Macron. Invité sur France 2, mercredi 12 octobre, le président français a exhorté, à plusieurs reprises, son homologue russe, Vladimir Poutine, à "cesser cette guerre, à respecter l’intégrité territoriale de l’Ukraine et à revenir autour de la table des discussions".
Sur un ton très injonctif, déroutant un bon nombre d’observateurs français, E. Macron a dénoncé la démarche de Vladimir Poutine visant à "installer" le continent européen dans "la guerre". S’il a justifié de la livraison de canons Caesar, le chef de l’État a largement fait usage de la nuance : "nous soutenons la résistance ukrainienne sans participer à la guerre".
Négociation, un temps de retard ?
Mais, ses suppliques répétées pour revenir à la table des négociations -adressées aux deux camps- relèvent d’une réalité, impérieuse dans le monde feutré de la politique internationale.
"Quand on essaie de faire la paix, on doit parler aux protagonistes", a-t-il professé. Par-delà le rappel d’un rite fondamental de la diplomatie, l’interview d’E. Macron marque un tournant dans le positionnement de la France. Et par capillarité de l’Union européenne. Au matin du 24 février 2022, date du début des opérations russes en Ukraine, le président Macron avait diffusé un tweet au ton vigoureux, condamnant "fermement la décision de la Russie de faire la guerre à l’Ukraine" , insistant, alors, sur son soutien à l’état agressé.
Or, la détermination russe à démilitariser son voisin ukrainien demeure inflexible, bien que le président Volodymyr Zelensky, érigé en héros de guerre, continue d’interpeller les États occidentaux tout en réclamant de nouvelles armes. Depuis, la question des crimes de guerre, perpétrés selon les Nations Unies par les forces russes, fournit aux "Occidentaux" une raison supplémentaire de soutenir l’Ukraine.
Du domaine stratégique des frontières, le conflit s’est déplacé désormais dans le domaine des valeurs. Lundi 10 octobre, Joe Biden a promis d’équiper l’Ukraine "de systèmes perfectionnés" de défense aérienne. En la matière, l’oncle Sam entend bien jouer sa carte de gendarme du monde, laissée vacante par son prédécesseur, Donald Trump, quitte à intensifier le combat par procuration. Fin septembre, le Sénat américain débloquait une aide de 12 milliards de dollars en faveur de l’Ukraine, une somme en grande partie destinée à soutenir les troupes ukrainiennes.
Errements européens
Un volontarisme militaire qui tranche avec les exhortations d’Emmanuel Macron à la négociation. Et qui éclaire bien le loupé diplomatique de l'Union européenne. Sans remonter au protocole et aux accords de Minsk (2014), ni évoquer "l’incapacité de l’UE de les faire appliquer", Jean de Gliniasty pointe sans ambages les ratés diplomatiques des 27 dans sa gestion du conflit.
"L’Europe aurait pu moduler davantage les sanctions en fonction de ses propres intérêts" . Dès le 23 février 2022, la réaction des Européens ne s’était pas fait attendre. Plusieurs séries de sanctions dont des actions ciblées visant 351 membres de la Douma russe, le gel des avoirs de V. Poutine ou une palette de mesures dans le secteur de l’énergie et de la finance, avaient été prises. Or, ce front uni cachait mal l’urgence -et donc l’absence de planification- de ces sanctions tout comme les discordances internes. "La grande erreur de l’UE a été d’agiter la menace de cesser d’acheter du gaz russe sachant qu’elle n’avait pas les moyens de s’en passer".
Dans le sillage de l’interview d’E. Macron, les failles traversant l’UE se creusent. Entre les partisans d’une ligne "négociations" comme la France ou l’Allemagne et les états adeptes d’une ligne plus ferme, Pologne et Etats baltes, le front uni affiché dès le 24 février -les chefs d’États s’étaient accordés pour une aide de 500 millions (armes et logistique) à l’Ukraine- semble bien se craqueler à nouveau.
"Bluff" ou "menace" nucléaire ?
Jeudi 13 octobre, Joseph Borrell, chef de la diplomatie européenne, a promis, dans une déclaration comminatoire "une réponse militaire si puissante que l’armée russe sera anéantie" en cas d’attaque nucléaire russe en Ukraine. Des affirmations aux antipodes de celles du président Macron et qui trahissent, au mieux un amateurisme, au pire une volonté d’en découdre. En matière de dissuasion nucléaire, mots et menaces relèvent d’un classique de la diplomatie et de sa dramaturgie. "Le propre de la dissuasion nucléaire est l’absence de ligne rouge. Il faut semer le doute chez l’adversaire" . Or, dans un contexte d’escalade et après les référendums rattachant (Donetsk, Lougansk, Kherson et Zaporijjia), "la Russie considère ces territoires comme les siens" , rappelle J. de Gliniasty. "Les règles d’emploi de l’arme nucléaire russe fixée par sa doctrine s’y appliquent, donc" . De là, à passer à l’acte…
La Turquie, en équilibriste
Depuis le début de la crise, la Turquie manœuvre avec dextérité, pariant sur la modération. "Le pays a une politique extrêmement habile" , analyse Jean de Gliniasty. Une posture audacieuse - "membre de l’Otan, elle achète des S400 aux Russes, elle a de bonnes relations avec la Russie mais livre des Bayraktar (drone) à l’Ukraine" - qui marque la volonté de nouveaux acteurs d’être, non plus seulement des marchés, mais des partenaires. D’autant que les Etats-Unis de Biden perpétuent une situation internationale où ils resteraient les maîtres du jeu. Affaiblir la Russie, avant tout, plus que soutenir l’Ukraine, donc. "Je pense que la paix est dans leurs mains. Quand le risque de guerre généralisée sera trop grand, ils calmeront le jeu", avance l’ex-ambassadeur.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale de TRT Français. Pour toute information, veuillez contacter : info@trtfrancais.com