En matière environnementale, la question de l’énergie et celle des matières premières occupent tous les esprits. En pleine guerre en Ukraine, qu’est-ce que cela dit de l’état de la souveraineté et autonomie stratégique françaises ?
L’un des nombreux problèmes que révèlent la guerre en Ukraine est que nous sommes, la France et l’Europe, dépendants de l’extérieur en ce qui concerne notre approvisionnement en énergies fossiles (pétrole, charbon et gaz). Nous sommes en train de payer le fait de ne pas avoir fait de transition écologique. Cela consiste à arrêter les énergies fossiles et les remplacer par des énergies renouvelables et décarbonées (éolienne, solaire). C’est à dire que certains, avec leurs panneaux solaires, ne payent plus de facture d’électricité, d’autres, avec des parcs d’éoliens en haute mer sont capables de fournir l’électricité de la 2ème plus grande ville d’Angleterre. C’est dire l’impact et le potentiel gigantesque ! Il faut ajouter à cela, les énergies décarbonées comme le nucléaire. Il n’est pas cohérent de se dire écologiste et d’être contre le nucléaire d’un point de vue rationnel. On peut être contre le nucléaire de guerre, je le suis également, mais on se doit d’être pour le nucléaire civil. En effet, avec une pastille de 7 grammes d’uranium 235, vous fournissez autant d’énergies qu’une tonne de charbon sans rejeter aucun gaz à effet de serre. On a raison de faire du nucléaire en France et on doit en développer davantage.
Vous avez évoqué la transition écologique. Est-ce que l’inflation, la guerre en Ukraine et le contexte post-Covid et du “quoiqu’il en coûte” ne risquent-ils pas de la ralentir ?
Une des leçons de la pandémie est que la création monétaire ou le surendettement, ce n’est pas bien ou mal en soi, c’est un choix politique. Les deux peuvent être justifié par l’urgence. Il n’est venu à l’idée de personne de dire “il faut arrêter le confinement et qu’on fasse des millions de morts supplémentaires car en termes de finances publiques, ça ne va pas !”. On a tous admis qu’il fallait ouvrir les vannes financièrement, endetter les Etats, pour juste payer la facture de sauver les gens de la menace de la pandémie. Donc, ce qui vaut pour la pandémie vaut également pour l’écologie puisqu’on n’a pas de planète de rechange, on en a qu’une seule ! On a besoin d’un plan Marshall pour la planète pour financer les grands chantiers : transition énergétique, remplacement de l’agriculture industrielle par une agroécologie beaucoup plus nourrissante, une révolution écologique dans nos transports, la reforestation mondiale.
Cela coûte beaucoup d’argent mais il va falloir le faire quoiqu’il en coûte ! La pandémie nous prouve qu’il est possible d’investir tout autant pour la transition écologique. La vraie question fondamentale est de savoir si la génération de mes enfants vivra en enfer ou non, notamment ceux vivant dans les pays pauvres ? Ces derniers n’auront vraisemblablement pas les moyens économiques de s’adapter à la catastrophe écologique. En effet, que faites-vous au Bangladesh quand vous n’avez pas les moyens, comme aux Pays-Bas, de faire des digues hautes de plusieurs mètres ? C’est simple, vous vous retrouvez avec des flux de millions de réfugiés écologiques. D’ailleurs, c’est ce qui conduit le gouvernement de l’Inde à mettre des barbelés aux frontières. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Il y a même des causes écologiques qui expliquent la guerre en Syrie et tout ceci est documenté.
Vous faites le lien entre les conséquences énergétiques et économiques, n’-y-a-t-il pas un paradoxe en France entre une aussi grande conscience écologique et en même temps une aussi faible capacité économique des citoyens pour financer la transition écologique ?
Il y a une énorme impasse dans la réflexion et le débat public sur les transformations écologiques nécessaires en France notamment autour des petits gestes, des initiatives, des efforts et des sacrifices individuels au quotidien (sous la douche, tri sélectif des déchets, etc.). A votre connaissance, est-ce que, pour arrêter l’esclavage, on a attendu que les consommateurs prennent l’initiative individuellement d’arrêter de consommer des produits venant de l’esclavage ? Non. Car il y a des militants esclaves qui se sont révoltés, des activistes libres et solidaires qui se sont mobilisés, des associations qui ont milité. Il y a eu également des actes de sabotages et de rébellion, des partis politiques et des gouvernements élus sur cette question voire même des guerres civiles contre l’esclavage.
Je vous mets au défi de trouver le moindre changement politique important qui ait été obtenu juste parce qu’on a changé individuellement nos comportements de consommation ! Cette rhétorique et cette stratégie de communication sont payées par des multinationales dans des secteurs très polluants. Ces derniers, pour détourner l’attention, préfèrent faire culpabiliser l’individu plutôt que de parler de leur pollution (pétrole, gaz). En d’autres termes, ce n’est pas à chacun des individus de sauver la planète en restant, par exemple, moins longtemps dans la douche, il faut s’organiser collectivement et interpeller les gouvernements. Les 20 plus grandes puissances économiques mondiales représentent à elles seules 80% de l’économie mondiale, il faut donc mettre d’accord 20 gouvernements et c’est terminé !
Durant le premier mandat de la présidence Macron, l’augmentation du prix de l’essence avait donné lieu au mouvement historique des gilets jaunes ? On parle d’un automne voire d’un hiver difficile pour le gouvernement en France, peut-on imaginer un ou plusieurs mouvements sociaux de ce type ?
Je serais très surpris que le gouvernement français refasse la même erreur en augmentant les taxes sur les carburants ou sur n’importe quelle énergie de première nécessité pour la population. En revanche, aussi longtemps que l’on aura des réflexions politiques du genre “interdire aux gens ceci” ou alors “on va surtaxer pour que cela soit plus cher”, on se retrouvera face à des mouvements sociaux, à une opposition entre l’enjeu de la fin du monde et celle de la fin du mois. Ce n’est pas de cette manière qu’il faut procéder. Si vous voulez que les gens arrêtent d’utiliser une voiture essence, payez-leur une voiture électrique puisque ce n’est pas de leur faute. Il n’y a pas d’autres moyens car le coût économique sera, sans cela, encore plus élevé. Il faut envisager le coût de l’action mais surtout celui de l’inaction de l’investissement écologique car les conséquences sont encore plus graves.
Toujours dans les conséquences de la guerre en Ukraine, quels enseignements peut-on tirer de la polémique autour des propos de Ségolène Royal notamment sur la liberté de débattre en France de la guerre ? Que pensez-vous de sa déclaration ?
Il y a deux aspects dans la déclaration de Ségolène Royal, le premier est qu’elle a dit une bêtise en remettant en cause l’existence de tel ou tel bombardement, elle a relayé une fake news. C’est un problème, il faut toujours faire attention, en contexte de conflit, à ne pas relayer ce genre de fake news car la guerre est aussi une guerre de l’information et de la désinformation. Il vaut mieux se taire quand on n'est pas sûr de l’information. En effet, la première victime d’une guerre est la vérité ! L’enjeu de guerre communicationnel et informationnel est tellement fort qu’il faut, pour les journalistes et les médias, être vigilants. Sinon, le risque est de recevoir du contenu qui est plus de la propagande que de l’information ouvrant la porte à une manipulation.
Certains plaident la maladresse de communication car elle a fait son mea culpa quelques jours plus tard tout en plaidant pour une diplomatie de la paix. Est-il encore possible en France d’avoir la liberté d’exprimer une pensée allant à l’encontre de la pensée dominante sur la guerre en Ukraine ? Quand on voit les réactions des politiques notamment de gauche, pouvons-nous encore débattre ? Y-at-il un risque pour notre démocratie ?
Il faut bien distinguer ce qui relève de la faute et de ce qui relève de la liberté d’opinion. Tout d’abord, elle relaie une fake news, c’est une faute. Ensuite, on doit se dire comment on se positionne dans la guerre en Ukraine en tant qu’éditorialiste. La France n’est pas neutre dans ce conflit. En effet, elle aide l’Ukraine financièrement, avec des armes et des sanctions infligées à la Russie. La France reconnait l’Ukraine comme agressée par un agresseur se nommant la Russie. La situation est celle-ci, et dire qu’il est donc plus difficile dans ce contexte d’être pacifiste ou pro-russe, c’est l’évidence même. Il y a un déséquilibre évident mais il y a une grande différence entre la France et la Russie, c’est qu’en France, on peut se dire contre la guerre sans aller en prison, contrairement à la Russie.
Quelle doit être la place de la diplomatie française dans le monde, un non-alignement comme le général de Gaulle ou un médiateur de paix ?
Il y a une légende sur le soi-disant non-alignement de la France, du temps du général de Gaulle, durant la Guerre froide. Ce n’est pas le cas. Ce qui est vrai, en revanche, c’est qu’il a toujours veillé à avoir de bonnes relations avec les deux blocs. Cependant, dès qu’il y avait un conflit entre les Etats-Unis et l’URSS, il choisissait systématiquement le bloc américain comme l’illustre la position de la France dans la crise de Cuba en 1962. Il sera en effet le premier dirigeant à prendre position pour les Etats-Unis dans une déclaration. La France peut-elle avoir un rôle de faiseur de paix ? Oui, c’est ce que tente de faire Emmanuel Macron, contre l’avis de beaucoup de dirigeants européens, en rappelant qu’il ne faut pas humilier la Russie. Cela n’est pas incompatible avec le fait d’être membre de l’OTAN, d’avoir choisi son camp dans le conflit et de veiller à trouver des chemins de paix. On n’est pas condamné à avoir un raisonnement binaire, à savoir la guerre ou la paix.
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