A quatre jours du second tour de l'élection présidentielle française, les deux finalistes Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont croisé le fer mercredi lors d'un débat télévisé électrique, affichant leurs désaccords et s'accrochant avec virulence sur la Russie, l'Union européenne ou encore le voile islamique.
Dans la dernière ligne droite de la campagne, le président sortant et la candidate d'extrême droite ont, pendant plus de 2h45, joué leur va-tout pour tenter de convaincre les indécis et les abstentionnistes du premier tour, notamment de gauche, dont le choix devrait être déterminant dans les bureaux de vote dimanche prochain.
Après une rapide poignée de main et un bref sourire à leur arrivée sur le plateau de TF1 et France 2, les deux candidats ont lancé les premières hostilités qui sont montées crescendo au fil des thèmes abordés au cours de la soirée.
Consciente de l'enjeu, Marine Le Pen ne s'est pas laissée démonter comme lors du précédent débat de 2017.
Elle s'est employée tout au long des échanges à apparaître comme proche du peuple, affirmant "essayer de [s]e mettre à la place des gens" - une critique à peine voilée de son adversaire, qui n'est pas parvenu au cours de son quinquennat à se débarrasser de l'étiquette de "président des riches".
Tout en assumant son bilan, Emmanuel Macron lui a opposé de nombreux chiffres, l'accusant d'avoir un programme n'ayant "ni queue ni tête".
Russie
"Je vous ai entendu avec votre gouvernement vous réjouir d'avoir augmenté le pouvoir d'achat des Français, moi je n'ai vu que des Français me dire qu'ils n'y arrivaient plus", a dégainé Mme Le Pen, avant d'ironiser sur "le Mozart de la finance" au "bilan économique qui est très mauvais" et "un bilan s ocial qui est encore pire".
Lui reprochant de ne "vivre que de la peur et du ressentiment", le président sortant a également accusé Mme Le Pen de vouloir pousser à "la guerre civile" avec son projet d'interdiction du voile islamique dans l'espace public.
Déjà vif sur les questions de politique intérieure, le ton est encore monté d'un cran entre les deux adversaires à l'évocation du conflit qui fait rage en Ukraine depuis le début de l'invasion russe le 24 février.
"Vous avez été, je pense, l'une des premières responsables politiques européennes, dès 2014, à reconnaître le résultat de l'annexion de la Crimée", a dénoncé M. Macron, faisant référence à l'annexion non reconnue par la communauté internationale de la péninsule ukrainienne par Moscou.
"Complotisme"
"Vous l'avez fait pourquoi ? (...) Parce que vous dépendez du pouvoir russe et que vous dépendez de M. Poutine", a-t-il ajouté dans une allusion à un prêt de 9 millions d'euros contracté en 2017 par le parti d'extrême droite de Mme Le Pen auprès d'une banque russe.
"Je suis une femme absolument et totalement libre", a rétorqué sa rivale, en affirmant qu'aucune banque française ne lui avait accordé de prêt à l'époque et qu'elle n'avait "d'autre dépendance que de rembourser son prêt".
"Je soutiens une Ukraine libre qui ne soit soumise ni aux Etats-Unis ni à l'Union européenne ni à la Russie, voilà ma position", a-t-elle ajouté.
La virulence des échanges s'est poursuivie sur la question de l'UE, Mme Le Pen démentant les accusations selon lesquelles elle souhaiterait toujours faire sortir la France du bloc.
"Je veux faire évoluer cette organisation européenne, mais M. Macron, je ne pensais pas que vous tomberiez dans une forme de complotisme", a ironisé la candidate.
"Vous n'êtes pas claire, votre projet quand on remet brique à brique les choses en place, c'est un projet qui ne dit pas son nom mais qui consiste à faire sortir de l'Europe", a répliqué M. Macron, faisant du scrutin de dimanche un "referendum pour ou contre l'Europe".
A quatre jours du second tour, l'incertitude plane concernant le vote à venir d'une partie des électeurs de gauche, notamment ceux ayant voté pour le candidat de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon - arrivé troisième au premier tour - qui restent méfiants ou tentés par l'abstention.
Si le débat ne bouleverse habituellement pas les dynamiques d'intentions de vote, il pourrait cette fois remobiliser certains électorats et "déplacer davantage de voix que ce qu'on a observé depuis le début de la Ve République" en 1958, selon Brice Teinturier, directeur général délégué de l'institut de sondages Ipsos.
Divergences multiples
Mme Le Pen "joue sur la proximité avec le ressenti des gens, quitte à paraître simpliste" et Emmanuel Macron "la ramène au réel, quitte à paraître infect d'arrogance et donneur de leçon", a relevé sur Twitter la po litologue Chloé Morin.
A deux jours de la fin de la campagne du second tour, les sondages donnent invariablement l'avantage au président sortant, avec 54 à 56,5% des intentions de vote contre 43,5 à 46% pour la candidate d'extrême droite. Un écart beaucoup plus serré qu'en 2017 où M. Macron l'avait emporté avec 66% des suffrages.
Il y a cinq ans, Mme Le Pen avait sombré en direct devant les 16,5 millions de téléspectateurs du débat, apparaissant agressive et mal préparée face à un jeune candidat alors inconnu, calme et maîtrisant ses dossiers.
Mais elle a patiemment remonté la pente, travaillé ses dossiers, adouci son image, et s'est préparée intensément au débat.
Le président sortant, lui, n'a plus l'atout de la fraîcheur, et doit défendre le bilan d'un quinquennat critiqué.
Outre les questions internationales, les deux candidats ont divergé sur presque tout mercredi soir, des retraites à l'écologie. Sur ce dernier point, Emmanuel Macron a accusé Mme Le Pen d'être "climato-sceptique", cette dernière lui répondant qu'il était pour sa part "climato-hypocrite".