Emmanuel Macron et Marine Le Pen jettent vendredi leurs ultimes forces dans la bataille au dernier jour de la campagne pour le second tour de la présidentielle française, avec en ligne de mire un choix historique entre deux projets et visions du monde que tout oppose.
Au vu des derniers sondages, le président sortant, donné vainqueur dans une fourchette de 54 à 56,5%, est bien parti pour prolonger de cinq ans son bail au palais présidentiel de l'Élysée. Au grand soulagement de ceux qui en France comme à l'étranger redoutent de voir l'extrême droite prendre les rênes d'un état membre du conseil de sécurité de l'ONU et dotée de l'arme nucléaire.
Les dirigeants allemand, espagnol et portugais ont appelé jeudi à choisir le "candidat démocrate" en France.
Bon nombre de chancelleries, déjà consternées par le score de l'extrême droite au premier tour, sont peu désireuses d'assister à une réplique des séismes populistes du Brexit et de l'élection de Donald Trump aux Etats-Unis.
Le 10 avril, plus de 30% des Français ont voté pour un candidat d'extrême droite -- Marine Le Pen a recueilli 23,15% des suffrages, l'ancien polémiste Éric Zemmour, 7, 07%.
Au soir de son élection en 2017, Emmanuel Macron avait pourtant promis de "tout" faire pour que les électeurs "n'aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes".
Non seulement il a échoué, mais le "front républicain", rassemblant traditionnellement la droite et la gauche traditionnelles face à l'extrême droite lors d'une élection, a perdu de sa vigueur, concurrencé aujourd'hui par un autre front, le "tout sauf Macron".
Le président suscite une forte hostilité après un quinquennat émaillé de crises, du mouvement populaire des "gilets jaunes" au Covid-19.
Se lon une enquête du Centre de recherches politiques de la prestigieuse école de Sciences Po à Paris, 38% des électeurs de Marine Le Pen la choisissent d'abord pour barrer la route à Emmanuel Macron.
"Rien n'est joué", insistent les soutiens du président sortant pour mobiliser dans la dernière ligne droite et conjurer l'abstention qui, selon les experts, sera le grand arbitre du scrutin.
"Super compliqué"
Selon Martial Foucault du Cevipof, "plus l'abstention sera forte et plus l'écart des intentions de vote est amené à se réduire", pointant "un vrai risque pour Emmanuel Macron".
Dans l'entre-deux-tours, les deux candidats sont donc partis à la chasse aux électeurs du candidat de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon, arrivé troisième au premier tour avec près de 22% des voix.
Pour les attirer, Marine Le Pen a promis de protéger les "plus vulnérables" pendant qu'Emmanuel Macron opérait un virage serré à gauche, promettant de faire de l'écologie l'alpha et omega de sa politique.
La campagne, longtemps occultée par la crise sanitaire puis la guerre en Ukraine, et le débat télévisé mercredi ont mis en exergue les divergen ces profondes entre les deux candidats.
Europe, économie, pouvoir d'achat, relations avec la Russie, retraites, immigration: les deux candidats ne sont d'accord sur à peu près rien.
Ils semblent incarner plus que jamais deux France: d'un côté, ce que le politologue Jérôme Fourquet appelle "la France triple A", "la France instagrammable", "celle qui fait rêver tout le monde" ; de l'autre la "France de l'ombre" et "de la relégation", "celle qui ne fait pas rêver".
Quel que soit le vainqueur, les élections législatives qui suivront en juin le scrutin présidentiel s'annoncen t d'ores et déjà comme "un troisième tour".
Jean-Luc Mélenchon a affiché son ambition de devenir Premier ministre et d'imposer ainsi une cohabitation, tablant sur un vote massif en faveur des députés de son parti, La France Insoumise, alors que Marine Le Pen comme Emmanuel Macron pourraient avoir des difficultés à obtenir une majorité.
Par ailleurs, un autre troisième tour pourrait se jouer dans la rue, sur le modèle de la contestation populaire des "gilets jaunes" en 2018-2019.
Emmanuel Macron porte notamment un projet de réforme des retraites impopulaire, qui repousserait l'âge de départ à la retraite.
"Je pense que ce sera un mandat super compliqué", anticipe un cadre de la majorité.
Si c'est Marine Le Pen qui accède à l'Elysée, les secousses risquent de se faire ressentir dès dimanche soir, avec une plongée dans l'inconnu dès le lendemain.