Symptôme d’un champ politique à bout de souffle, miné par le discours de l’extrême-droite, le quinquennat qui s’ouvre est celui de tous les périls. Car en toile de fond, la défaite de la candidate d’extrême-droite ne masque pas l’ascension de ses idées dans l’opinion française.
Emmanuel Macron a remporté l’élection présidentielle. Est-ce une victoire pour autant ? Le moins que l’on puisse dire est que l’allégresse de 2017 a laissé place à une gueule de bois, qui ne dit pas son nom, ou à peine. Si la macronie a bien célébré le second tour victorieux de son champion, Emmanuel Macron, le discours lapidaire et consensuel du président en dit long.
Réélu avec 58.54% des suffrages, brisant la malédiction du second mandat (aucun président de la Ve république n’ayant réussi sans cohabitation), Emmanuel Macron gagne en perdant huit points par rapport au deuxième tour de l’élection de 2017. Marine Le Pen, elle, perd en grignotant neuf points. Des résultats univoques quant à la complexité de la situation.
Marine Le Pen continue de creuser un sillon toujours aussi profond dans la société française. Les idées d’extrême-droite articulent une bonne part de la conversation publique.
Bourdonnements médiatiques
Ainsi, de nombreuses petites mains ont servi la dédiabolisation du Rassemblement national et de Marine Le Pen. Souvent montrés du doigt, une frange des médias sont accusés d’avoir incité à la normalisation de l’extrême-droite. Dans un contexte d’hyper-concentration médiatique, les logiques commerciales déportent la presse française de son premier objectif, informer et faire vivre le débat démocratique.
L’arrivée des chaines d’information au début des années 2000 a accompagné la dédiabolisation de l’extrême-droite. Dans l’entre-deux-tours, une question : « Marine Le Pen est-elle d’extrême-droite ? » est revenue dans plusieurs médias télévisés...
Plus grave encore, la fabrique du personnage Zemmour. Alors journaliste au Figaro, il intervient sur la chaine I Télé dès 2003 avant d’atterrir sur France 2 en 2006. Ironie du sort, c’est sur le service public, donc, qu’il taille sa stature de tribun avant de prétendre, en 2021, aux plus hautes fonctions...
De l’utilité des Le Pen
Au plan politique, la majorité présidentielle n’a pas créé les sujets de prédilection chers à Marine Le Pen. Elle les a suivi et instrumentalisé. La pratique ne date pas d’hier. On la doit à Français Mitterrand, président de la république française de 1981 à 1995. Fin stratège, il va utiliser le Front national, alors dirigé par Jean-Marie Le Pen, comme un instrument politique pour bousculer la droite et rehausser sa popularité malmenée.
On est en 1985 et le poids du FN dans l’échiquier politique français est anecdotique. Le socialiste enjoint, alors, les médias à faire une place au FN au nom du pluralisme. Surtout, il fait introduire le scrutin proportionnel aux législatives de 1986. Un tournant dans la structuration du FN. Avec 35 députés, le parti change de dimension. Ses idées aussi.
Une séquence vieille de presque 30 ans qu’Emmanuel Macron n’est pas prêt à assumer. Le question du mode de scrutin figurait, pourtant, dans ses promesses de campagne en 2017. Promesse enterrée du fait de l’absence de majorité au Sénat et donc d’un faible soutien politique.
Reste que la configuration de 1986 n’est pas celle de 2022. Tout comme le RN/FN de 1986 n’est pas celui de 2022. Les lignes de fracture ont bougé et Marine Le Pen a su imposer son parti comme une force politique électorale majeure. La notabilisation du RN mais aussi son recentrage -grâce aux idées plus à droite encore d’Eric Zemmour- rendent le parti tout à fait "fréquentable". En cas de scrutin proportionnel, le RN pourrait rafler la mise aux législatives. Emmanuel Macron est disruptif. Pas suicidaire. Pour autant, jouer des sujets phares du RN reste une pratique qu’il s’est autorisé, qu’il s’autorisera le temps venu.
Suivisme politique
Au mitan du premier mandat, il n’aura pas attendu longtemps avant d’embrasser un tournant sécuritaire. Certes, la décapitation de Samuel Paty, enseignant, puis l’attentat de Nice, à l’automne 2020, ont fait resurgir la question du terrorisme, de la radicalisation et de l’islamisme dans le débat public.
La loi de sécurité globale, celle contre le séparatisme ont donné lieu, sans surprise, à une surenchère identitaire et sécuritaire de certains ministres du gouvernement. Avec un point d’orgue médiatique. Alors qu’il débat face à Marine Le Pen sur France, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur affuble son adversaire d’un « vous êtes trop molle » dans le combat contre « l’idéologie islamiste ». Une formule assassine qui électrise les réseaux sociaux, consterne les pourfendeurs de l’extrême-droite et résume, avec morgue, la stratégie du camp Macron face à celui de Marine Le Pen.
Après tout, ce n’est pas un secret. Un RN fort est utile surtout dans un deuxième tour. Une formule impétueuse lancée au temps où le barrage républicain était tenu pour acquis.
S’il a fonctionné dimanche soir, il était, pourtant, loin d’être infrangible. Dans l’entre-deux-tours, La France Insoumise, au terme d’une consultation interne, s’est prononcée pour le vote blanc ou nul (37,65%) laissant penser que la stratégie de M. Le Pen -un front anti-macron- pouvait opérer.
D’ailleurs, le second tour de l’élection pourrait fait office de galop d’essai pour 2027. Entre une abstention quasi record de 28% -14 millions d’électeurs ont refusé de choisir entre les deux candidats- et un vote de rejet plutôt que d’adhésion -53% des votants ont opté pour E. Macron contre M. Le Pen-, le barrage républicain a perdu de sa superbe. Vingt ans après les 82% de Jacques Chirac contre Jean-Marie Le Pen, la dynamique en faveur de la fille Le Pen est loin d’être défavorable. Sortie vaincue du duel de la présidentielle, elle réalise un score historique et prouve l’ancrage du Rassemblement national en France.
Quant à transformer l’essai aux législatives, elle n’est pas la seule à lorgner sur ce troisième possible. Avec la consolidation du bloc populaire de Jean-Luc Mélenchon et une possible dynamique favorable au président Emmanuel Macron, tout semble possible. Même l’impossible. Alors qu’elle vient d’annoncer sa candidature dans le Pas-de-Calais, Marine Le Pen est apparue combative dimanche soir dans son discours de défaite. Avec un argument de poids, « le mode de scrutin » décrit comme le fossoyeur de la « représentativité parlementaire ». Une musique de fond qu’entonne aussi les 28% d’abstentionnistes... Et qui pourrait contraindre Emmanuel Macron au changement.