Un an après le début du conflit, Gaza est dévastée, la Cisjordanie sous occupation, le Liban au bord de l’invasion. Le bilan humain est lourd : plus de 42 000 morts à Gaza, plusieurs centaines de milliers de blessés, des hôpitaux et des écoles réduits à néant.
Dans ce contexte tragique, la position de la France sous la présidence d’Emmanuel Macron, en rupture avec la tradition gaullienne et dans la continuité de celle de l’”UMPS” sous Sarkozy et Hollande, a été vivement critiquée durant une année, pour sa complaisance, si ce n’est son alignement avec la politique israélienne.
Visite de Macron en Israël
À la suite des attaques du 7 octobre par le Hamas, Emmanuel Macron a été l’un des premiers chefs d’État à se rendre en Israël pour témoigner de sa “pleine solidarité” avec le pays et avec le Premier ministre Benjamin Netanyahu, que Macron n’a pas hésité à appeler familièrement “cher Bibi”, lors de leur conférence de presse.
Lors de cette visite, le 24 octobre, le président français a condamné avec fermeté les attaques du Hamas, qualifiées de “terroristes”, tout en évitant soigneusement de dénoncer les bombardements israéliens qui ont causé des pertes civiles massives parmi les Palestiniens.
Macron a par ailleurs proposé d’élargir le champ d’action de la coalition internationale contre Daech, dans laquelle la France est engagée en Irak et en Syrie, pour inclure la lutte contre le Hamas.
Cette position de deux poids deux mesures a suscité de vives critiques, notamment de la part d’Amnesty France, qui a rappelé que le président français devait également condamner les attaques “indiscriminées” et les “crimes de guerre” des forces israéliennes contre les civils à Gaza.
De son côté, Jean-Luc Mélenchon, chef de La France Insoumise, avait lui aussi fustigé les déclarations de Macron, affirmant que celles-ci avaient “humilié la France”.
Interview BBC : de la condamnation à la volte-face
Le 10 novembre, lors d'une interview accordée à la BBC, Emmanuel Macron avait surpris en prenant une position nettement plus critique à l'égard d'Israël, en rupture avec son discours antérieur de soutien sans réserve, ce qui avait été interprété comme une évolution importante de la posture diplomatique française dans la tragédie en cours.
Il avait dénoncé les bombardements israéliens qui visaient des civils à Gaza, déclarant : "De facto, aujourd'hui, des civils sont bombardés. Ces bébés, ces femmes, ces personnes âgées sont bombardés et tués. Il n'y a aucune justification et aucune légitimité à cela."
Le président avait également exhorté Israël à cesser ces attaques et insisté sur le respect des règles internationales de la guerre et du droit humanitaire.
Mais c’était sans compter le coup de pression d’Israël qui allait s’ensuivre un jour plus tard et amener le président français à se rétracter.
Le Premier ministre Netanyahu a qualifié ces propos d'"erreur factuelle et morale", tandis que la présidence israélienne a exprimé sa profonde “douleur et contrariété”.
Au lendemain de ce coup de pression, Macron a rapidement réajusté son discours, précisant lors d'un entretien téléphonique avec le président israélien Isaac Herzog qu'il ne visait pas Israël directement et qu'il “soutenait sans équivoque le droit et le devoir d'Israël à se défendre et a exprimé son soutien à la guerre menée par Israël contre le Hamas"
Colère des diplomates français
La politique de soutien inconditionnel apporté à Israël semble avoir dérangé plusieurs diplomates français qui, dans une démarche inédite dans l'histoire récente de la diplomatie française, ont exprimé leur inquiétude face à cette position, qui rompt avec la tradition française d'équilibre entre Israéliens et Palestiniens.
Dans une déclaration commune, plusieurs ambassadeurs de France au Moyen-Orient avaient exprimé leur regret et leur inquiétude.
Selon une révélation du Figaro datée du 13 novembre, environ une dizaine d'ambassadeurs de France au Moyen-Orient et dans certains pays du Maghreb ont rédigé et signé collectivement une note, exprimant leur préoccupation face à l'orientation pro-israélienne adoptée par Emmanuel Macron dans le conflit israélo-palestinien.
Cette déclaration commune avait été adressée au Quai d'Orsay, avec des copies destinées à l'Élysée, selon un diplomate ayant eu accès au document. Il a souligné que la déclaration n’était pas une critique virulente, mais un point de vue des ambassadeurs qui indique que la position initiale en faveur d'Israël durant la crise est mal comprise au Moyen-Orient et rompt avec la tradition française d'équilibre entre Israéliens et Palestiniens.
En effet, depuis la mise en place de la Ve République, la position de la France à l’égard du conflit israélo-palestinien a considérablement évolué.
Les diplomates craignaient qu’une telle prise de position n’ait des répercussions profondes sur l'image de la France mettant en avant une perte de crédibilité et d'influence du pays. Ils regrettaient que dans beaucoup de pays du Moyen-Orient et du Maghreb, les critiques les plus sévères soient adressées à la France aux côtés des Etats-Unis et du Royaume-Uni. "Nous sommes parfois accusés de complicité de génocide. La défiance vis-à-vis de nous est profonde et risque d’être persistante. Nos interlocuteurs trouvent que l’on se trahit nous-mêmes, ils estiment que notre discours, basé sur l’humanisme, est en contradiction avec notre nouvelle approche. Pour eux, la France, avec sa voix alternative, n’existe plus" avaient averti les diplomates.
Récemment encore, malgré les nombreuses critiques et les appels au boycott des athlètes israéliens au JO 2024, le président français faisant la sourde oreille avait déclaré qu’ils étaient “les bienvenus" et devaient "pouvoir concourir sous leurs couleurs" aux JO.
Mais Emmanuel Macron est allé plus loin, en affirmant que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu serait lui aussi le “bienvenu” s'il décidait de venir à Paris pendant les JO, “malgré des désaccords profonds”, tandis que la Cour pénale internationale avait demandé un mandat d’arrêt contre le Premier ministre israélien pour crime de guerre.
Livraisons d’armes
Les livraisons d'armes de la France vers Israël ont également fait l’objet de vives critiques.
A plusieurs reprises la pression s'est accrue de la part des parlementaires et des organisations non gouvernementales (ONG) sur la question des exportations d'armes françaises.
En février dernier, une lettre ouverte de l'ONG Amnesty International adressée au président français avait expressément demandé un "arrêt des livraisons d'armes et de matériels de guerre à Israël". La lettre soulignait que la France avait la responsabilité de prévenir le génocide, impliquant de ne pas fournir à Israël des moyens facilitant des actes potentiellement génocidaires.
Des parlementaires, dont la députée Mathilde Panot et le sénateur Fabien Gay, avaient aussi interpellé le gouvernement pour obtenir des informations détaillées sur les exportations d'armes vers Israël en 2023, mais leurs requêtes sont restées lettres mortes.
En janvier dernier, seize importantes ONG dont Amnesty International, Human Rights Watch, Médecins du monde et Oxfam avaient lancé un appel à "cesser immédiatement les transferts d’armes, de pièces détachées et de munitions à Israël".
Sous la pression du ministère des Armées, le tribunal administratif de Paris avait même refusé d’examiner les demandes de suspension de livraisons d’armes à Israël formulées par ces ONG.
Une note envoyée au tribunal administratif de Paris par le ministère des Armées et obtenue par Disclose avait révélé que les requêtes concernant les exportations d’armes vers Israël avaient été rejetées, le juge ayant repris “mot pour mot” les arguments du ministère.
Du ministère de la Défense aux entreprises privées, les liens de la France avec Israël dans le domaine militaire sont évidents.
Au cours des dix dernières années, les ventes d'équipements militaires à Israël ont atteint 208 millions d'euros, selon un rapport parlementaire de 2022. Ce document indique que les exportations d'armes de la France vers Israël comprennent divers types d'armements tels que des bombes, torpilles, roquettes, missiles, ainsi que d'autres dispositifs et charges explosives, de même que les matériels et accessoires connexes, et leurs composants spécifiques. Cette liste englobe des systèmes de haute technologie pour le guidage des missiles et des bombes, ainsi que des pistolets mitrailleurs.
Côté privé, de nombreuses entreprises françaises, telles que Airbus, Thalès et Dassault, collaborent depuis des années avec des entreprises israéliennes sur plusieurs projets militaires et technologiques. Thalès a par exemple travaillé avec l’israélien Elbit Systems sur le drone Watchkeeper qui permet de fournir des données précises de localisation des cibles, facilitant les frappes. Dassault coopère de son côté avec Elbit Systems pour les avions Falcon et investit également dans des entreprises israéliennes, comme JVP.
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L’entreprise française Exxelia Technologie, qui vend des armes à Israël, avait même reçu une plainte emblématique en 2014 de la part d’une famille palestinienne suite à la découverte d'un de ses composants sur la bombe responsable de la mort de trois enfants au sein de cette même famille.
Violation du traité sur le commerce des armes
Dans sa décision, la Cour internationale de Justice avait clairement mis en lumière un risque de génocide à Gaza et les violations continues du droit international par Israël dans les territoires palestiniens occupés. L'existence d'un risque génocidaire devrait en théorie obliger les pays exportateurs d’armes à cesser tout export d'armes, de matériels ou de technologies militaires vers Israël.
Mais la France n’a pas changé sa stratégie de vente contrairement aux Pays-Bas où la justice a ordonné l'arrêt des livraisons d'armes en raison du "risque clair de violations graves du droit humanitaire" par Israël.
Pourtant, la France est signataire du traité sur le commerce des armes (TCA) de 2013, qui interdit à un État de vendre des armes s’il a "connaissance [...] que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels, ou d’autres crimes de guerre".
Il semble ainsi que la France est déterminée à défendre coûte que coûte Israël.
Après les tensions entre Israël et le Liban et les tirs de missile iraniens récents sur le territoire israélien, non seulement la France n’a pas eu le courage ni la décence de condamner ouvertement les bombardements qui ont tués deux citoyens français, mais a de surcroît "mobilisé ses moyens militaires au Moyen-Orient pour parer la menace iranienne".
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Ainsi, toute cette politique de grand écart et de nombreuses volte-faces de la part de la France depuis le 7 octobre, n’a cessé de susciter de vives critiques autant dans le pays qu’à l’international.
Récemment encore, le 27 septembre dernier, le président français a été copieusement chahuté à Montréal, par des manifestants irrités de son attitude concernant les agressions israéliennes dans les territoires palestiniens.
"Shame on you !", "Shame on you !" (Honte à vous): les accusations, proférées par une dizaine de personnes, ont fusé alors que le chef de l'Etat sortait d'une conférence de presse avec le Premier ministre canadien Justin Trudeau.
A l'issue d'un échange avec le public qui l'attendait sur les trottoirs, Emmanuel Macron est alors allé à la rencontre des manifestants pro-palestiniens dans une mêlée de journalistes et d'agents de sécurité.
"C'est un génocide" qui est commis à Gaza, "vous pouvez l'arrêter", "vous offrez une couverture diplomatique" à l'Etat d'Israël, ont enchaîné deux d'entre eux, dont une jeune femme palestinienne qui a expliqué avoir perdu sa fille à Gaza.
"La France envoie de l'argent et des armes qui tuent des innocents", "nous voulons des actes", "vous pouvez mettre la pression sur Israël", avaient-ils martelé.