Faure Gnassingbé, le chef de l'État togolais. / Photo: AA (AA)

Des députés togolais dont le mandat a expiré en décembre 2023, ont voté nuitamment le 25 février dernier, une loi qui change le régime du pays de présidentiel à parlementaire. Un changement qui a suscité la colère de l'opposition et de la société civile. Le nouveau texte a été validé par 89 députés sur les 91 que compte l’Assemblée nationale. Le vote a enregistré une voix contre et une abstention. Le parti au pouvoir, l’Union pour la République (UNIR) est largement majoritaire à l’Assemblée nationale togolaise.

La nouvelle constitution dispose que le président est choisi “sans débats” par le Parlement pour “un mandat unique de six ans”.

L’actuelle constitution, celle de la IV République, stipule en son article 59 que le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans, renouvelable une fois.

Dans le nouveau texte, le pouvoir résidera entre les mains d'un "président du conseil des ministres", sorte de Premier ministre "désigné" par les députés, en charge des fonctions régaliennes. Son mandat doit être de six ans, sans qu'il soit précisé s'il sera renouvelable ou non.

Ce détail inquiète l'opposition qui craint que Faure Gnassingbé ne soit nommé à cette fonction, assurant ainsi son maintien au pouvoir pour une durée indéfinie.

Les conditions d’adoption d’une loi aussi importante ont suscité le mécontentement de l’opposition et de la société civile. Le texte a en effet été adopté peu après minuit le 25 mars courant, par des députés dont le mandat a expiré, à quelques semaines des législatives, prévues le 20 avril prochain.

Tensions

"C'est inacceptable, le régime togolais se permet absolument tout, après avoir changé la constitution en catimini", a déclaré mercredi après-midi Nathaniel Olympio, président du Parti des Togolais (PT) et l'un des organisateurs d’une conférence de presse dispersée par la police.

"En privant les Togolais de choisir leur président de la République par ce coup d'État constitutionnel, le régime a franchi une ligne rouge", explique M.Olympio.

"J'appelle les Togolais à se mettre debout pour faire barrage à ce projet funeste", a-t-il ajouté.

Très influente dans le pays, l’Église catholique par l’entremise de la Conférence des Évêques du Togo (CET), a invité le chef de l’État Faure Gnassingbé à surseoir à la promulgation de la nouvelle constitution.

Les prélats se sont interrogés sur “l’opportunité” d’une telle opération, à un mois des législatives, “alors que le mandat des députés est arrivé à échéance”.

“Est-il opportun qu’une modification constitutionnelle soit organisée en cette période où les Députés eux-mêmes sont préoccupés par la campagne électorale qui commence très bientôt ? Ne serait-il pas plus sage de la reporter à une date ultérieure, pour des travaux plus sereins ?”, s’interrogent les évêques du Togo.

Laboratoire de la Françafrique

Dans une région minée par l’instabilité politique, avec une succession de coups d’État, certains observateurs redoutent que le Togo ne devienne un nouveau foyer de tension en Afrique de l’Ouest. C’est en effet le seul pays d’Afrique de l’Ouest qui n’a jamais connu d’alternance démocratique en 64 ans d’indépendance.

Trois ans après son indépendance de la France le 27 avril 1960, le Togo vivait son premier coup d’État.

Élu à la présidence du Togo le 9 avril 1961 au détriment de Nicolas Grunitzky “l’homme de la France”, le président Sylvanus Olympio fut assassiné dans la nuit du 12 au 13 janvier 1963.

Parmi les membres du commando de ce premier coup d’État d’Afrique sub-saharienne, se trouvait le sergent Etienne Eyadema qui deviendra président plus tard.

C’est à ce niveau que le rôle de la France fut prépondérant dans la trajectoire politique du Togo. Souverainiste, Olympio projetait de quitter la zone Franc et de créer une monnaie togolaise adossée au Mark allemand. Autant d’actes de “défiance” mal appréciés à Paris. Jacques Foccard “le monsieur Afrique de De Gaulle”, dans ces mémoires (Foccart parle, Fayard-Jeune Afrique, 1995) affirme : “avec lui, mes relations n’ont jamais été cordiales comme celles que j’entretenais avec Nicolas Grunitzky” [l’homme qui a succédé à Olympio après le coup d’État] “.

Nicolas Grunitzky “l’homme des Français” est renversé à son tour le 13 janvier 1967 par le lieutenant-colonel Gnassingbé Eyadéma. Ce proche de la France meurt le 5 février 2005 des suites d’une crise cardiaque, après 38 ans au pouvoir.

Par un tour de passe-passe, son fils Faure Gnassingbé s’empare du pouvoir et prolonge ainsi l’emprise familiale sur le Togo jusqu'à aujourd'hui.

Pour l'historien togolais Michel Goeh-Akue, la nouvelle constitution est "faite pour que Faure Gnassingbé ait le pouvoir à vie", comme "dans un système monarchique".

"Les dés sont pipés à l'avance", a-t-il jugé ce mardi, soulignant que l'opposition "n'a pas beaucoup de chances pour les élections législatives et régionales du mois prochain tant le système est verrouillé".

D’où l’exaspération d’un opposant comme Jean-Pierre Fabre.

"Trop, c'est trop. Nous sommes déterminés à engager la lutte. Nous allons leur livrer la bataille", a déclaré Jean-Pierre Fabre, président de l'Alliance nationale pour le changement (ANC, l'un des principaux partis de l'opposition), lors d'une conférence de presse de plusieurs partis d'opposition et de groupes de la société civile au siège de l'ANC à Lomé.

"Nous demandons à la communauté internationale et à la Cedeao (Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest) de prendre leurs responsabilités. C'est un combat qui va durer des mois. Il faudrait que la population se mobilise pour mettre fin à cette forfaiture", a martelé David Dosseh, porte-parole du Front citoyen Togo debout (FCTD, regroupement d'organisations de la société civile).

Toutefois, les défenseurs de la nouvelle constitution estiment que le pays y gagnera en stabilité, dans une Afrique de l'Ouest secouée par des coups d'État au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et au Niger, la crise politique qui a agité le Sénégal, ou le terrorisme également présent dans le nord du Togo.

Des explications qui sont loin d’apaiser la tension ambiante au Togo. C’est peut-être la raison pour laquelle le chef de l’État togolais a demandé à l’Assemblée nationale une deuxième lecture de ce texte.

TRT Francais