Togo: l'économie sociale et solidaire, comme clé pour sortir de la pauvreté? / Photo: AA (AA)

Le Togo fait, depuis plus d’une décennie maintenant, la promotion de l’économie sociale et solidaire (ESS). Ce modèle économique au fonctionnement collectif, orienté par une éthique qui place l’humain plutôt que le profit au centre de son fonctionnement, est justement à l’opposé de l’économie classique.

Ces valeurs sont l’entraide et la solidarité au sein d’une communauté en vue de pallier la défaillance des États en matière de développement socio-économique ou de protection sociale.

L’ESS au Togo mobiliserait selon des experts, près de 200 000 jeunes entrepreneurs à ce jour. Mais ce nombre ne semble être qu’une estimation. Puisque de milliers d’autres sont aussi engagés dans l’économie sociale et solidaire "sans même le savoir".

D’après les informations reçues auprès du ministère du Développement à la base chargé de la jeunesse et de l’emploi des jeunes, qui organise depuis 2011 ce domaine, seuls près de 5000 de ces jeunes sont encadrés à ce jour pour réussir dans le domaine.

Certains d’entre eux rencontrés par l'Agence Anadolu, n’ont pas hésité à partager leurs expériences faites surtout de difficultés mais aussi et de quelques succès.

Sortir des gens de la pauvreté et créer un environnement sain

Bemah Gado, gère depuis 2016 "Sciences et technologies africaines pour un développement durable" (STADD), une ONG, et l'entreprise Green Industry Togo (GIP Togo) sur le modèle de l’économie sociale et solidaire en investissant tout ou une partie des bénéfices engrangés par GIP Togo, dans des activités sociales au service de sa communauté.

Il travaille sur les déchets plastiques dont la gestion était un casse-tête pour la mairie de Lomé à l’époque de la création de son entreprise sociale.

"Pour la petite histoire, en 2015 déjà, la mairie de Lomé estimait la production des déchets plastiques produits par les 1,7 millions d'habitants de la capitale, à plus de 31 000 tonnes par an.

La mairie devrait alors dépenser 5 milliards de FCFA par an pour la gestion de ces déchets , mais n'en disposait que de 2 sur financement de l'État. Des quantités importantes de déchets plastiques se retrouvaient par conséquent dans la nature avec des conséquences sur l'environnement et sur la santé publique" raconte-il à l'Agence Anadolu.

Bemah Gado incitait déjà, dès 2011,la population et les étudiants à l’université de Lomé avec l’ONG STADD, à collecter les déchets plastiques de tout genre qu’il leur rachetait au Kilo.

Il allait ensuite les revendre à une entreprise de recyclage à Accra (Ghana). L’argent gagné étant réinvesti pour acheter plus de déchets. Cette activité va alors s’intensifier pour lui avec la création en 2016 de GIP Togo. Et ce faisant, il apporte de quoi vivre à des populations défavorisées, qui en retour contribuent à rendre propre leur environnement.

"Au moins 10 000 ménages sont engagés avec nous dans les opérations de tri et de recyclage des déchets plastiques aujourd’hui. Et notre capacité de tri est aujourd'hui de 1500 tonnes par an. Mais nous envisageons de pousser le bouchon à 3000 tonnes dans les années qui viennent" confie-il

Bemah Gado affirme aujourd’hui que ses structures sont en partenariat avec au moins 10 communes du Togo avec lesquelles elles mènent "des activités d'assainissement" et emploient au moins 60 personnes dont les 2/3 sont des emplois permanents et 60% des femmes sans aucune possibilité d’emploi.

"En 2021 nous avons réussi à dégager plus d'une trentaine de dépotoirs dans ces communes et formé au moins 600 personnes qui ont fait leur entrée dans la chaîne de gestion des déchets plastiques. Nous avons pu réaliser en outre, le programme éducatif de notre organisation dans 65 écoles sur l'ensemble du territoire.

Nous avons formé dans ces écoles 1500 éco-ambassadeurs (qui collectent et trient les déchets plastiques de leur espace scolaire). Nous avons élaboré deux manuels éducatifs certifiés par le ministère de l'Environnement qui sont mis à la disposition des écoles où les éco-ambassadeurs ont été formés. Nous sommes arrivés cette année à aider le gouvernement à reboiser plus de 90 hectares avec 95 000 plants mis en terre dans la région des savanes. C’est la preuve que nous retournons à nos communautés ce que nous gagnons.

Si cette initiative a valu à Bemah Gado plusieurs prix au plan national comme à l’international, aujourd’hui, il ambitionne de vulgariser ce modèle d'économie partout chez les jeunes. Parce que, soutient-il, "ce modèle peut favoriser le développement du pays tout entier, s’il y a plus d’entreprises sociales engagées aux côtés de l’État pour le bien être des communautés".

L’ESS comme appui au secteur agricole

Tewou Kokou, cet autre jeune entrepreneur social, y est engagé au depuis 2013 avec son entreprise AVI SARL, une société de production, de transformation et de commercialisation des produits agricoles biologiques, basée à Notsé dans la région des plateaux.

AVI soutient dans son modèle d‘économie sociale et solidaire, au début des campagnes agricoles, les coopératives en leur donnant des crédits agricoles, des intrants et en mettant à leur disposition des agronomes pour les conseiller sur les itinéraires techniques et les bonnes pratiques culturales.

"Pour cette campagne en cours, AVI a financé les coopératives pour plus de 200 millions de francs. Et nous accompagnons au plan national plus de 4000 producteurs organisés en coopératives agricoles. Soit un total de plus de 250 coopératives agricoles formalisées grâce à AVI" assure Téwou.

AVI affirme réinvestir ses bénéfices dans les communes où elle intervient, pour le bien des communautés et à travers plusieurs activités sociales.

Dans son rôle de responsabilité sociétale, AVI a ouvert un centre de désintoxication et de sevrage aux personnes qui souffrent d’addiction à l'alcool, au tabac et aux drogues. Ce centre se trouve à Notsé et est subventionné à 90% par les bénéfices que nous réalisons sur les subventions. Nous formons également les femmes rurales sur des thématiques comme : la gestion de leur revenu, la transformation des matières cultivées (le soja et le sorgho par exemple) et nous les aidons dans la recherche des marchés pour la vente de leurs produits agricoles", détaille Téwou Kokou

Toujours dans le domaine agricole, l'Agence Anadolu a rencontré l’entrepreneur social Dahui Yaovi, fondateur de "Terre Nova agrobusiness" il y a seulement deux ans.

Il offre des services d’accompagnements techniques aux agriculteurs, forme et emploie des techniciens agricoles, produit et commercialise des jus naturels et fournit des engrais liquides organiques.

Il est inacceptable pour ce dernier de voir que "les producteurs d’ananas ne peuvent pas consommer le vrai jus pur d'ananas, pour la simple raison que les industriels vendent ces produits à un prix au-delà de leur portée".

Avec sa jeune entreprise, Dahui met déjà à disposition des producteurs des jus d’ananas moins cher, les aident en amont en leur fournissant à un coût moins cher, des engrais liquides organiques localement produits pour "permettre aux producteurs d’accroître les rendements à moindre coût et créer plus d'emplois sur la chaîne de l’approvisionnement en matière première, en production et en distribution".

"Nous avons aujourd'hui un millier d’agriculteurs qui bénéficient gratuitement de nos appuis techniques, à travers des formations", confie-t-il.

Un environnement juridique défavorable

Les succès divers réalisés par ces entrepreneurs sociaux au Togo, semblent démontrer que l’économie sociale et solidaire prend de l’ampleur dans le pays.

Mais ce n’est pas sans difficultés. La première difficulté souvent citée relève du fait que le cadre juridique qui régit l’économie sociale et solidaire au Togo n’est pas favorable à son éclosion.

"Le Togo a une fiscalité qui ne fait pas de différence entre ce qui se fait au niveau social et ce qui se fait au niveau économique. Il n'y a pas de format qui permet de reconnaître des entités à caractère social”.

Je fais du profit et je reverse la majeure partie dans des activités sociales au profit de ma communauté, et on m'applique la même fiscalité qu’à celui qui fait son business et se remplit les poches", se désole Bemah Gado.

Pour lui, "l'absence d'un environnement juridique propice ne favorise pas l'éclosion des structures qui mettent à l'œuvre l'économie sociale et solidaire. Si on parvient à corriger cette anomalie, beaucoup de nouvelles structures naîtront au profit des communautés".

"Parce que nous sommes convaincus que cela peut favoriser le développement de notre pays, le Togo, en ce sens que plus il y a d' entreprises sociales, elles aideront l'État dans la recherche du bien-être de nos communautés", a encore avancé Bemah Gado.

"Je pense que ce type d'entrepreneuriat est en bonne voie au Togo, et c'est aux autorités de définir les normes de réglementation pour favoriser l’éclosion des entreprises sociales et solidaires. Assumer notre rôle d'entreprise sociale et au même moment payer les taxes et impôts comme des entreprises classiques est une tâche très difficile. Aucune partie ne doit être lésée", indique pour sa part Dahui Yaovi.

En tout cas pour l’instant, "on surpasse tout en respect à l’engagement pris de servir les communautés par nos activités", conclut Téwou Kokou.

Le cadre légal

Le gouvernement, pour sa part, s’active pour créer ce cadre légal. Dans les couloirs de l’Assemblée nationale togolaise, on apprend qu’une loi-cadre pourrait être votée très prochainement pour donner la chance au gouvernement, d’atteindre son objectif, "celui de faire en sorte qu’à échéance 2032, chaque Togolais puisse avoir accès à un minimum vital commun".

Miriam De Souza, ministre togolaise du Développement à la base avait affirmé, dans une récente interview à Sputnik France, que "la notion d’économie sociale et solidaire est un contexte, une idéologie qui demande la prudence . Elle doit être bâtie sur une bonne connaissance des problèmes d’une communauté donnée et y embarquer les membres". Elle a également affirmé que l’économie sociale et solidaire est la "clé du développement à la base en Afrique".

Mais attention, il ne faut pas se méprendre, prévient l’économiste togolais Thomas Koumou, président de "Veille économique", une association panafricaine basée au Togo.

"L'économie sociale et solidaire ne peut pas constituer un soubassement pour une croissance ou pour un vrai développement en Afrique subsaharienne", affirme-t-il au micro d’Anadolu

Rappelant qu’elle est juste "un outil complémentaire de lutte contre la pauvreté", il affirme que "ce n'est pas par l'économie sociale et solidaire que l'Afrique sortira de sa pauvreté et atteindra les portes de l'émergence".

"Les portes de l'émergence seront atteintes lorsque les gouvernants mettront en place des politiques publiques dont l'implémentation et l'exécution seront efficaces et productives en termes macro-économiques", explique l’économiste togolais.

AA