La situation géographique stratégique de la Turquie, entre l'Europe et l'Asie, constitue ainsi un atout majeur pour cette ambition longtemps nourrie de s’ériger en tant qu’acteur essentiel de la géopolitique régionale. De l'Eurasie vers l'Europe, en passant par l’Afrique, la Turquie se positionne comme un corridor et une plaque tournante énergétique clés pour le 21e siècle.
La stratégie énergétique du pays est ancrée dans son rôle central de voie de transit pour les gazoducs et les oléoducs, reliant les régions riches en ressources comme le bassin de la mer Caspienne, la Russie et le Moyen-Orient aux marchés européens avides d'énergie. Cette stratégie a été renforcée par plusieurs grands projets de pipelines, opérationnels ou en cours de planification.
L'un des projets les plus remarquables est le gazoduc transanatolien (TANAP), qui fait partie du corridor gazier méridional. Opérationnel depuis 2018, le TANAP transporte le gaz naturel du gisement azerbaïdjanais de Shah Deniz vers l'Europe en passant par la Géorgie et la Turquie, contribuant ainsi à diversifier les sources d'énergie de l'Europe et à réduire sa dépendance à l'égard du gaz russe.
Un autre gazoduc essentiel est le TurkStream, qui achemine le gaz russe directement vers la Turquie et l'Europe du Sud-Est via la mer Noire, en contournant l'Ukraine.
En outre, l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) est une pierre angulaire de l'infrastructure énergétique de la Turquie depuis plus d'une décennie. Il transporte le pétrole de la mer Caspienne vers les marchés mondiaux via le port méditerranéen de Ceyhan, offrant ainsi une voie d'accès cruciale au pétrole de la Caspienne pour atteindre les marchés mondiaux.
Au terminal de Ceyhan, le pétrole est transféré dans de grands pétroliers, notamment des Very Large Crude Carriers (VLCC), pour être distribué en Europe, aux États-Unis et en Asie.
L'emplacement stratégique du terminal sur la Méditerranée permet d'accéder aux principales voies maritimes, telles que le canal de Suez et le détroit de Gibraltar, ce qui facilite l'efficacité des exportations mondiales.
Outre son rôle dans le transport du pétrole, les opérations maritimes de l'oléoduc BTC comprennent des services complets de logistique et d'expédition, dans le respect de normes strictes en matière d'environnement et de sécurité.
Cette infrastructure renforce non seulement la sécurité énergétique de l'Europe en offrant une alternative aux itinéraires contrôlés par la Russie, mais elle contribue également de manière significative aux économies de la Turquie, de l'Azerbaïdjan et de la Géorgie.
Extension de la portée dans la région
Parmi les nouveaux projets énergétiques sur lesquels Ankara table pour consolider son rôle de plaque tournante de l'énergie pour l'Europe, figure le projet de gazoduc transcaspien (TCP), qui vise à transporter le gaz naturel du Turkménistan vers l'Europe en traversant la mer Caspienne, l'Azerbaïdjan et la Turquie.
Ce projet promet de renforcer la sécurité énergétique de l'Europe en lui fournissant une source supplémentaire de gaz non russe.
En 2022, la Russie a proposé d'établir un centre gazier en Turquie pour remplacer ses ventes perdues à l'Europe, conformément à l'ambition de longue date d'Ankara de servir de bourse de l'énergie pour les pays confrontés à des pénuries.
Les négociations sont en cours, les principales institutions russes et turques travaillant sur la feuille de route du projet.
Malgré le conflit en cours, l'accord de transit pour la livraison de gaz russe à l'Europe via l'Ukraine représentait encore 15 milliards de mètres cubes (mmc) l'année dernière, sur une consommation totale de gaz de l'UE de 295 mmc.
Toutefois, de nombreux destinataires du gaz russe via l'Ukraine se préparent à l'éventualité d'une interruption des flux à la fin de cette année, l'Ukraine ayant exprimé son refus de renouveler l'accord.
Accords maritimes avec la Méditerranée orientale et la Libye
En 2019, la Turquie a signé un accord sur les frontières maritimes avec le gouvernement d'entente nationale (GNA) de la Libye, qui a délimité une zone économique exclusive (ZEE) entre les deux pays. Cet accord a fourni à la Turquie un point d'ancrage stratégique en Méditerranée orientale, renforçant ses revendications sur les ressources potentielles en hydrocarbures de la région.
L'accord maritime avec la Libye a également renforcé la position de la Turquie face à d'autres acteurs régionaux, tels que la Grèce, l'administration chypriote grecque de Chypre du Sud et Israël, qui ont leurs propres revendications en Méditerranée orientale.
Ankara a déjà mené plusieurs opérations de forage exploratoire au large des côtes libyennes, dans le cadre de son engagement à garantir ses intérêts maritimes dans des régions stratégiques telles que la Méditerranée.
Coopération entre la Turquie et la Somalie
La Turquie est également de plus en plus active en Afrique, où des entreprises turques ont obtenu des licences d'exploration pour le pétrole et le gaz.
Récemment, la Turquie et la Somalie ont signé un protocole d'accord intergouvernemental pour renforcer la coopération dans l'exploration du pétrole et du gaz naturel dans les blocs onshore et offshore de la Somalie.
Dans le cadre de l'accord d'exploration et de production d'hydrocarbures, la Turquie explorera le gaz naturel et le pétrole dans trois blocs situés dans les eaux somaliennes.
L'accord a été formalisé en présence du ministre de l'énergie et des ressources naturelles de Turquie, Alparslan Bayraktar, et du ministre somalien du pétrole et des ressources minérales, Abdirizak Omar Mohamed.
Cette coopération renforce non seulement la position stratégique de la Turquie sur le continent africain, mais aussi le potentiel de la Somalie à atteindre l'indépendance économique et la stabilité.
Dans le cadre de cette coopération, le navire de recherche sismique MTA Oruc Reis, un navire de recherche turc portant le nom de l'amiral et corsaire ottoman Oruc Reis, ainsi que ses navires de soutien, devraient faire route vers la Somalie à la fin du mois de septembre.
Équipé d'une technologie de pointe, l'Oruc Reis est capable de réaliser des études sismiques en 2D et en 3D et de collecter des données sur les caractéristiques géologiques et géophysiques des fonds marins.
En tirant parti de sa situation géographique et en poursuivant des partenariats stratégiques dans le domaine de l'énergie, la Turquie renforce non seulement sa propre sécurité énergétique, mais contribue également à la stabilité et à la sécurité de l'approvisionnement énergétique du continent européen et au-delà.