Depuis l’adoption de la loi SILT (Sécurité Intérieure et Lutte contre le Terrorisme) en 2017, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) se sont imposées comme un outil clé de la lutte antiterroriste en France.
Mais, comme le révèle une enquête de Camille Stineau du média Blast, derrière cette façade sécuritaire, ces dispositifs révèlent des pratiques controversées qui suscitent de vives inquiétudes quant à leur impact sur les droits fondamentaux.
Un outil arbitraire
Les MICAS permettent de limiter les déplacements d’un individu ou de l’astreindre à certaines obligations, sans qu’une procédure pénale ne soit engagée.
Ces décisions reposent principalement sur des rapports anonymes des services de renseignement, les fameuses "notes blanches, qui, en l’absence d’une véritable enquête judiciaire, deviennent la pierre angulaire de mesures coercitives souvent prises sur des bases fragiles.
Présentées comme indispensables pour prévenir des actes terroristes, ces mesures ont progressivement cristallisé les critiques.
De nombreux cas montrent qu’elles peuvent reposer sur des motifs discutables, voire arbitraires, comme le port d’une barbe jugée "suspecte" ou un geste interprété à tort comme un signe de radicalisation.
Paris 2024 : un prétexte pour la surenchère sécuritaire
L’organisation des Jeux olympiques de Paris a marqué un tournant dans l’usage des MICAS. Selon Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, 559 mesures ont été prononcées à l’été 2024, un chiffre record.
Ces décisions, justifiées par le besoin de sécuriser un événement mondial, ont parfois reposé sur des preuves si ténues qu’elles ont soulevé des doutes sur leur légitimité. Certaines accusations ont frisé l’absurde.
Par exemple, un sportif de jiu-jitsu a été suspecté de radicalisation simplement parce qu’une photo le montrait levant un doigt pour célébrer une victoire, un geste, pourtant courant dans de nombreux contextes sportifs mais perçu, dans ce cas, comme un symbole religieux radical.
Certains citoyens ont ainsi vu leur vie bouleversée par des accusations de radicalisation basées sur des “notes blanches” fournies par les services de renseignement.
Blast révèle encore qu’un employé à l’aéroport a eu son habilitation suspendue. La note blanche lui reprochait notamment de ne plus serrer la main aux femmes et par conséquent d’être radicalisé alors qu’en réalité, rapporte son avocat, “mon client avait son casque anti-bruit sur les oreilles, et n’a donc pas entendu quand une femme lui a dit bonjour.”
L’avocat raconte qu’un autre employé lui a ensuite dit "on n'est pas en Syrie ici, on dit bonjour aux femmes". Une enquête interne a été menée et des excuses ont été faites à mon client.”
Ces notes, anonymes et souvent lacunaires, s’appuient parfois sur des éléments aussi anecdotiques qu’une barbe jugée “non entretenue”, une tenue traditionnelle, ou un geste interprété à tort comme un signe d’allégeance à Daech.
Les exemples d’accusations absurdes abondent.
Dans un autre cas, une femme a été placée sous MICAS après qu’un compte TikTok faisant l’apologie du terrorisme a été lié à un ancien numéro de téléphone enregistré à son nom.
Pourtant, ce numéro avait été créé pour une sœur à lui et désactivé avant même l’existence du compte incriminé.
Lors de l’audience, aucune preuve tangible n’a été fournie pour démontrer qu’elle avait un lien avec ce compte, ce qui n’a pas empêché le tribunal administratif de valider initialement la MICAS avant qu’elle ne soit levée sans explication le lendemain.
Une justice sous pression
Ces raccourcis révèlent une méconnaissance et un préjugé systématique au sein des services de renseignement.
L’une des critiques majeures adressées aux MICAS concerne le rôle des tribunaux administratifs, souvent accusés de valider systématiquement les décisions des autorités.
Dans 90 % des cas, les juges considèrent les notes des services de renseignement comme fiables, même lorsqu’elles manquent de preuves concrètes.
Avec l’adoption de nouvelles dispositions en 2024, la situation s’est encore compliquée.
Désormais, certaines informations transmises par le ministère de l’Intérieur aux juges ne sont pas accessibles aux avocats, ce qui limite leur capacité à défendre efficacement leurs clients.
Les MICAS symbolisent un déplacement inquiétant des principes démocratiques. Initialement conçues comme des mesures d’exception, elles s’inscrivent aujourd’hui dans un cadre légal permanent. Ce glissement alimente des craintes sur la banalisation des restrictions de liberté au nom de la sécurité.