“Déléguer notre protection, notre capacité à soigner à d’autres est une folie. Nous devons en reprendre le contrôle. Les prochaines semaines nécessiteront des décisions de rupture en ce sens. Je les assumerai”, avait promis Emmanuel Macron pendant la crise du Covid, alors que la France faisait face à des pénuries de médicaments, de masques et de vaccins.
Le président avait alors annoncé un plan de reconquête pour garantir la sécurité sanitaire du pays. Quatre ans plus tard, le médicament le plus vendu de l’Hexagone, le Doliprane, risque de passer sous contrôle américain. Selon l’activiste Pauline Londeix, depuis le début de la présidence Macron, la pénurie de médicaments aurait même sextuplé.
Depuis que Sanofi a annoncé, le 11 octobre, être entré en négociations avec le fonds d’investissement américain CD&R pour la cession d’Opella, sa branche pharmaceutique grand public, un tollé général a éclaté. Syndicats et classe politique s’inquiètent des conséquences de cette vente sur la souveraineté sanitaire et l’emploi.
Appel à utiliser le décret Montebourg
À gauche comme à droite, les appels à bloquer la vente se multiplient. "Le président s’occupe qu’Emily in Paris reste en France. Je préférerais qu’il s’occupe que le Doliprane reste en France", a lancé Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste (PS).
Dans une tribune publiée dimanche dans La Tribune, les parlementaires socialistes exhortent le gouvernement à invoquer le "décret Montebourg" pour empêcher Sanofi de céder la production du Doliprane à un fonds américain
Le décret IEF (investissements étrangers en France), également connu sous le nom de décret Montebourg, permet à l'État de contrôler les investissements étrangers dans des secteurs stratégiques. Cependant, son application est ambivalente : d'un côté, elle renforce la souveraineté économique, mais de l'autre, elle peut envoyer un message négatif aux investisseurs étrangers, les dissuadant de considérer la France comme une destination attractive pour leurs investissements.
Soixante-deux députés des groupes Ensemble pour la République (EPR), du MoDem, d’Horizons et de la Droite républicaine ont signé une lettre adressée à Bercy, dénonçant "la passivité de l’État" face à la délocalisation des activités pharmaceutiques du pays.
De leur côté, les députés de La France insoumise demandent la nationalisation d’Opella afin de créer un pôle public du médicament, une proposition déjà rejetée après la première vague de Covid-19.
"C’est une honte et encore un symbole de notre perte de souveraineté", s’est insurgé Fabien Roussel, secrétaire national du PCF.
Défendre la souveraineté de la France
La colère des responsables politiques est forte, car ils estiment que les pouvoirs publics ont massivement soutenu Sanofi ces dernières années, notamment via le crédit d’impôt recherche, qui lui a rapporté 1,5 milliard d'euros en dix ans. Malgré ces aides, Sanofi a réduit ses effectifs en France, délocalisant ses activités de recherche vers des pays à faibles coûts.
Le gouvernement français a alors demandé un "bilan exhaustif" des aides publiques reçues par le groupe pharmaceutique au cours de la dernière décennie. "Parce que oui, nous soutenons les entreprises. Oui, nous soutenons l'emploi et l'industrie, mais cela ne peut pas se faire n'importe comment et à n'importe quelles conditions", a souligné le ministre de l'Économie, Antoine Armand, confirmant la "possible présence de l'État au conseil d'administration" d'Opella, qui commercialise le Doliprane.
Macron a affirmé lundi que le gouvernement s'engageait à garantir la protection de la France en matière de "propriété capitalistique".
Garanties et menaces
Le ministre de l’Économie, Antoine Armand, et celui de l’Industrie, Marc Ferracci, ont visité le site de production de Doliprane à Lisieux le 14 octobre. Ils ont posé plusieurs conditions au rachat, notamment le maintien de la production, des emplois et du siège en France, et ont évoqué le recours au décret Montebourg pour protéger ces intérêts. Armand a réaffirmé son engagement de garantir la production en France : "Ces garanties devront être respectées et nous nous assurerons qu’elles le seront en mobilisant tous les outils législatifs et réglementaires à notre disposition y compris des pénalités et des sanctions en cas de non-respect de l’accord", a-t-il averti.
Marc Ferracci a insisté sur la préservation des emplois : "Le maintien des emplois sur le site de Lisieux, c’est l’objectif. Des engagements sont en train d’être discutés sur les volumes de production, sur la recherche et développement, sur l’emploi. Il faut aussi préserver l’écosystème de sous-traitance."
Pour Johann Nicolas, délégué du syndicat CGT Lisieux, un rachat par un fonds américain serait “une trahison envers la France et envers tous les salariés”. La France, contrainte d’acheter des médicaments, sera-t-elle à la merci d’autres pays qui imposeront leurs propres prix ?