Un coup de tonnerre. Les résultats des élections européennes, dimanche soir, ont confirmé la consolidation du Rassemblement national, parti d’extrême-droite, dans la vie politique française. Avec plus de 31% des suffrages recueillis, sa tête de liste, Jordan Bardella a transformé sa popularité médiatique en stature politique. Le score de Bardella et du RN qui a obtenu un score deux fois supérieur au score de Valérie Hayer, candidate de la majorité présidentielle, prouve la dynamique de progression de l’extrême-droite en France.
Selon Philippe Corcuff, politologue et professeur des universités à l’IEP de Lyon, “la victoire de Bardella s’inscrit dans le sillage de celles de Marine Le Pen avec un atout supplémentaire. Le personnage est jeune”. D’ailleurs, son assise sur les réseaux sociaux le prouve. Le député européen parle quotidiennement à 1.3 millions d’abonnés sur TikTok là où 72% des utilisateurs ont moins de 24 ans.
Avec une telle stratégie et quand on connaît la puissance de ces plateformes, le succès de Bardella n’est pas une surprise. “Cette poussée électorale était prévisible mais je ne suis pas certain que les réseaux sociaux aient joué un rôle si prégnant”, nuance P.Corcuff, également auteur du livre “Les tontons flingueurs de la gauche”, avant de livrer une analyse de cette soirée électorale sur le temps long. “Le RN a déroulé au fil des années une stratégie de normalisation” couplée à une image politique virginale là où tous les partis se sont frottés à la chose publique… et judiciaire. “Le RN apparaît comme la seule force qui n’a jamais été au pouvoir. Localement, ils sont peu représentés; donc cette capacité à incarner un parti nouveau fonctionne encore très bien”, ajoute P.Corcuff.
Un avantage qui, on l’a vu, hier soir, écrase tout procès en illégitimité dont le parti et ses apôtres font fréquemment l’objet. “L’absence de compétences est secondaire”, analyse le politologue. D’ailleurs, Emmanuel Macron qui était censé être doté de toutes les compétences de l’énarque, du banquier d’affaires et intellectuelles- n’a-t-il pas été l’élève du grand philosophe français Paul Ricoeur ?- cristallise aujourd’hui toute la rancœur d’une partie de la France.
“Il a déçu malgré ses compétences”, renchérit P.Corcuff, tout en rappelant que le vote n’est pas toujours fondé sur l’expertise du candidat. “Je rappelle que l’extrême-droite incompétente dure…regardez en Hongrie avec Viktor Orban depuis 15 ans ou en Italie avec Méloni qui jouit, dorénavant d’une aura incontestable”. La présidente du Conseil italien arrive largement en tête avec 28,9% des suffrages. Comme en France avec le RN, Fratelli d’Italia conforte une position qui place l’Europe dans une position de bascule politique.
Une extrême-droitisation prévisible
Une extrême-droitisation, instrumentalisée par les partis traditionnels. Faut-il rappeler le jeu de François Mitterrand, alors président socialiste de la France ? En 1985, il déclare vouloir introduire “ à des degrés divers” une dose de proportionnelle dans les modes de scrutin. Une nouvelle loi électorale permet l’entrée à l’Assemblée nationale de 35 députés FN aux élections législatives de 1986. Le souci de représentativité ouvre la porte à la notabilisation de l’extrême-droite de Jean-Marie Le Pen, père de Marine.
Cette notabilisation a été payante tant l’ascension du RN paraît dorénavant irrésistible. Même le “présidentiable” Gabriel Attal, présenté lors de sa nomination à Matignon comme le dauphin d’Emmanuel Macron, a échoué à inverser la courbe des votes en faveur de Bardella. Ce dernier, raillé pour sa piètre prestation télévisuelle face au jeune Premier ministre, n’a pas failli. Comment expliquer, alors, sa performance ?
Aujourd’hui, Bardella imprime, comme on dit en communication politique. Il est capable de parler aux désillusionnés de la politique. “C’est cela qui attire et son discours d’ordre, sa capacité à focaliser l’inquiétude avec l’immigration, à la fixer dans l’esprit des gens”, font de lui, une figure capable de résoudre les problèmes des Français.
Bardella cartonne sur TikTok
A la question de savoir si Gaza- et l’actualité au Proche-Orient qui a mis au jour les fractures de la société française- a porté le RN, parti se présentant comme pro-israélien, la réponse du politologue est nuancée. “Gaza est surtout un thème de campagne de LFI qui en a bénéficié pour être moins faible que le score annoncé. Mais en même temps, l’effet de la focalisation sur Gaza, a prolongé la stratégie du RN. Le parti a besoin de se focaliser sur l’idée d’un membre violent, inquiétant. Cette stratégie est propice aux discours d’ordre, de cette idée d’un ennemi de l’extérieur”. En attendant, la situation avec des élections législatives dans trois semaines s’annonce baroque.
« Macron avait le choix de construire une alternative pour 2027 », note P.Corcuff. Or, il donne deux chances au RN, la possibilité d’une cohabitation avec le RN. Si le parti d’extrême-droite échoue, il gagne quand même. Cela ouvrira des possibles et une possibilité de victoire pour 2027 ».