A l'Assemblée, la gauche compte 192 élus, la majorité présidentielle 163 et le Rassemblement national  124 / Photo: AFP (AFP)

La France est plongée dans l'ingouvernabilité. L'Assemblée nationale est divisée en trois blocs de force à peu près égale : l'extrême droite, les libéraux du président Emmanuel Macron, et la gauche. Pendant encore sept mois, il est impossible de convoquer des élections législatives anticipées, car M. Macron l'a déjà fait en juin dernier, et la Constitution interdit de le faire à nouveau avant qu'au moins un an ne se soit écoulé. Le pays se trouve dans une impasse avec l'Assemblée actuelle jusqu'en juin-juillet 2025, et l'éventuelle démission du chef de l'État, exigée par plusieurs leaders de l'opposition, n'y changerait rien. De plus, dans le cadre du mode de scrutin actuel, de nouvelles élections législatives ne feraient probablement que reproduire ces trois blocs.

Cet état d'ingouvernabilité a un certain nombre de conséquences graves. De nombreuses décisions gouvernementales doivent être retardées, tantôt parce que le gouvernement est monopolisé par la lutte parlementaire pour sa propre survie, tantôt parce qu'il n'a le droit que d’expédier les affaires courantes, comme c'est le cas de l’actuel gouvernement de Michel Barnier, depuis qu'il a été renversé par une motion de censure votée par la gauche et l'extrême droite le 4 décembre. La commande publique, dont dépendent en très large part des secteurs entiers de l'économie française, comme le BTP, est au point mort. Dans cette situation d'incertitude et d'absence de capitaine, l'attentisme et l'anxiété se répandent parmi les ménages, les entreprises et les investisseurs, ce qui a en soi un effet négatif dangereux sur l'économie et sur l'état général de l'opinion publique.

Le budget de l'État et le budget de la Sécurité sociale pour 2025 ne peuvent pas être adoptés à temps, ce qui signifie que ceux de 2024 seront automatiquement reportés sans modification. Les efforts urgents visant à maîtriser les finances publiques ne seront donc pas entrepris. Ceci, et l'ingouvernabilité elle-même, conduira les agences de notation à baisser la note des obligations d'État émises par le Trésor français pour financer le déficit public chronique français, ce qui entraînera une hausse des taux d'intérêt exigés par le marché obligataire. Un périlleux effet boule de neige de l'endettement devient alors possible.

Trouver une entente cordiale pour gouverner

Si l'on adopte un raisonnement basé sur des conditions minimales, la configuration requise pour un gouvernement stable est la suivante : l'un des trois blocs gouverne, et l'un des deux blocs restants ne vote pas son renversement. Le gouvernement Barnier n'était qu'une première tentative, au cours de laquelle le bloc macroniste a gouverné sans être censuré par le bloc d'extrême droite, en échange de diverses concessions à ce dernier sur le contenu de ses réformes. En fin de compte, cependant, l'extrême droite a quand même décidé de le renverser.

Et si la solution c'était la proportionnelle ?

Nous sommes donc de retour à la case départ.

Il n'est pas impossible de résoudre la crise de façon professionnelle et méthodique. S'inspirant de la diplomatie interétatique pour résoudre les crises, les délégations de deux blocs devraient se rencontrer pour négocier un accord écrit officiel, en vertu duquel l'un des deux gouvernera et l'autre ne le censurera pas. Cet accord doit inclure l'adoption rapide d'un nouveau mode de scrutin, de sorte que lors des prochaines élections législatives, l'existence d'une majorité absolue pour l'un des trois blocs soit garantie. La solution la plus simple serait d'adopter le scrutin proportionnel départemental utilisé lors des élections législatives de 1986, avec l'ajout d'une prime de majorité suffisamment généreuse pour le bloc qui arrive en tête, c'est-à-dire une prime en nombre de sièges. C'est tout à fait faisable, puisque le bloc d'extrême droite, le bloc de gauche, et toute une partie du bloc libéral, sont déjà favorables à cette réforme.

Une telle approche diplomatique est probablement la seule voie rationnelle possible pour faire cesser l’ingouvernabilité du pays.

L'extrême droite vient de faire tomber le gouvernement du bloc macroniste, alors que ce dernier était prêt à négocier avec lui. Logiquement, la France doit maintenant tenter une négociation entre le bloc macroniste et la gauche. À plus long terme, il est peut-être temps de s'interroger sur l'efficacité de la démocratie représentative, dont les deux piliers, l'existence de politiciens professionnels et la représentation des idées populaires par les partis politiques, sont aujourd'hui massivement rejetés par les Français, selon la dernière édition de l'enquête de référence du CEVIPOF, Fractures françaises. L'alternative pourrait être d'expérimenter la démocratie directe, fondée sur une Assemblée nationale de 500 citoyens tirés au sort, sur un gouvernement collégial à ses ordres, et sur le droit pour les pétitions citoyennes de provoquer des référendums d'initiative citoyenne constituants, abrogatoires, révocatoires ou législatifs : c'est le « RIC CARL » qu’exigeaient les Gilets Jaunes.

TRT Francais