Le texte a été débattu tout l’après-midi par les députés. Les interventions étaient toutes teintées de fatalisme : le texte n’est pas parfait mais il est l’aboutissement de plus de huit ans de discussions. Fabienne Keller, députée française du groupe Renew était rapporteuse d’un des textes. “Nous sommes à un moment de vérité, ce texte ne règle pas tout mais c’est un pas de géant.“
Les orateurs qui se sont succédés ont pour la plupart insisté sur l’instauration de règles communes dans le “filtrage” des migrants, et dans leur traitement à posteriori. Jusqu’ici il y avait en effet beaucoup de différences dans le traitement des demandes d’asile entre les États membres.
Comme d’autres de ses collègues, Fabienne Keller a appelé à la responsabilité des élus à deux mois des élections européennes qui doivent renouveler le Parlement. “Nos concitoyens veulent des actes, c’est aujourd'hui l’occasion historique de proposer du concret aux Européens”, elle n’a pas hésité à ajouter que voter contre ce texte ce serait comme donner son vote au partis d'extrême droite.” La commissaire européenne chargée de la migration Ylva Johansson y est allée de sa mise en garde: “ Les électeurs nous regardent, si ce pacte échoue, nous échouerons tous !”
Un texte voté par défaut
Ce vote semble en effet plus un vote de raison que de passion. La crise migratoire de 2015 avait mis au jour ce que tout le monde savait déjà : la politique migratoire et le système dit de Dublin font peser sur les pays du Sud le poids de la gestion migratoire, la Grèce, Malte et l’Italie en tête. Alors l’un des points clés de ce pacte, c’est renforcer la solidarité entre pays sans la rendre obligatoire. Dans les faits, tous les pays devront gérer la charge migratoire, soit en accueillant des personnes, soit en proposant des services techniques, soit en finançant des programmes.
Le texte est d’autant plus important que la pression migratoire repart à la hausse. L’Union européenne a enregistré 1,14 million demandes d’asile en 2023, soit leur plus haut niveau depuis 2016, selon l’Agence européenne pour l’asile. Les entrées “irrégulières” sont aussi en augmentation et atteignent 380 000 en 2023, selon Frontex, l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes.
Mais la pression est aussi politique. Le thème des migrants et des réfugiés est un thème placé au cœur des programmes des partis politiques populistes. Les élections européennes approchent et dans plusieurs pays dont la France, ces partis d’extrême droite sont en tête des sondages ou très bien placés. Ces groupes sont vent debout contre un pacte immigration qu’ils jugent dangereux. Jordan Bardella, la tête de liste Rassemblement National en France pour les élections européennes estime que ce pacte, c’est un pacte de la “submersion” migratoire qui va menacer la sécurité et l’identité de l’Europe.
Les migrants vont être filtrés
Ce nouveau pacte devrait entrer en vigueur en 2026. Il harmonise surtout les critères de filtrage et les critères d'attribution de l’asile. Le premier pays d’entrée dans l’UE d’un migrant est responsable de sa demande d’asile mais avec le nouveau texte, les demandeurs d’asile doivent savoir dans un délai de 5 jours s' ils peuvent entrer dans l’UE. Leurs identités seront vérifiées notamment pour savoir s'ils ont déjà fait l’objet d’un dossier et d’une demande, cela va s’appliquer aux enfants dès l’âge de 6 ans. Un fichier Eurodac va être créé. Ceux qui n’ont presque aucune chance d’obtenir l’asile (notamment les migrants originaires du Maghreb) pourront être retournés vers leurs pays d’origine ou un pays tiers et seront gardés dans des centres dédiés.
Et c’est bien ces mesures coercitives qui ont poussé 161 organisations et ONG de défense des droits humains à demander le rejet du texte. Les partis de gauche au Parlement étaient très critiques. Il n’empêchera pas les gens de traverser la Méditerranée, a t-on entendu, “il ne résout rien.” L’ancien maire de Grande-Synthe dans le Pas-de-Calais et député européen socialiste Damien Carême a été très dur. Connu pour sa gestion des réfugiés qui tentaient la traversée de la Manche, il a déclaré: “ ce texte est la honte de l’Europe. J’attendais un sursaut d’humanité et de courage.”