Ils étaient en avance. Avec des drapeaux palestiniens ou des motifs de pastèques sur leur T-shirts. Avec l’envie de donner de la voix, de compter dans l’histoire. Tous les supporters de Fadi au Stade de France, hier soir, n’étaient pas palestiniens, mais pour une soirée, les drapeaux français, italiens, algériens et tunisiens se mêlaient au drapeau palestinien.
Avec une sérénité désarmante, l’athlète gazaoui a fait son apparition en fauteuil roulant dans les gradins, trente minutes avant le début de son épreuve. Les supporters n’ont pas attendu avant de se précipiter à ses côtés. "Avec ta présence, tu as déjà gagné", lance à son adresse, fièrement, l’un d’eux. Après une série de photos souvenir, les derniers mots d’encouragement sont prononcés, avant que l’athlète palestinien n’offre des pins à remettre aux supporters auprès desquels il n’avait pas pu se rendre, faute de temps.
"Je n’entendais rien d’autre que leurs cris"
En effervescence depuis le début des épreuves de para-athlétisme, le Stade de France était hier soir en ébullition pour accompagner la Française Mandy Françoise-Elie (T37) au 200m femmes. C’est le lancer de massue qui a ouvert le bal à 18h30, suivi de l’entrée des athlètes de la finale des hommes au lancer de poids dans la catégorie F55. Sous la pluie, Fadi Aldeeb est apparu, sourire aux lèvres, en avant-dernière position, indiquant ainsi son ordre de passage.
Les drapeaux palestiniens s’agitèrent et la foule qui l’attendait scandait son nom. "J’entendais les voix des supporters dans les gradins, en bas et en haut, je n’entendais rien d’autre que leurs cris. Je ne voulais pas interrompre la compétition parce qu’il y a des règles à respecter, mais je voulais aller aux côtés des supporters. J’ai bien reçu leur message.", témoigne Fadi Eldeeb, au lendemain de la compétition.
À 21h30, soit deux heures et demie après son entrée, Fadi Aldeeb fut installé par les volontaires sur son siège, alors que le stade était plongé dans le silence exigé pour chaque saut en longueur T11. Dans cette catégorie, les sportifs ont une déficience visuelle quasi-totale. Portant un masque ou des lunettes noires, ils sont guidés par les instructions sonores de leur guide voyant. Les supporters de l’athlète gazaoui n’avaient pourtant qu’une envie, échauffer leurs cordes vocales. À peine le saut terminé, Fadi AlDeeb s’apprêtait à faire son premier essai, quand un homme brisa le silence en criant "Free Palestine".
"Je devais faire honneur à ceux qui m'encourageaient"
Sous les hourras des groupes de fans présents, l’athlète qui a commencé son entraînement pour les Jeux Paralympiques il y a seulement 27 jours, a poussé son poids de quatre kilos, sous les regards inquiets de ses supporters. "C’était très dur d’attendre pour moi techniquement. J’aurais préféré jouer en deuxième ou en troisième position. Quand on est avant-dernier, c’est lourd. Mais je devais faire honneur à ceux qui m'encourageaient et qui se levaient pour la Palestine", avoue-t-il.
Ayant fait le déplacement de Blois, Nadia, 49 ans, est venue avec toute sa famille pour soutenir l’athlète. "Fadi Aldeeb, c’est quelqu’un de très courageux qui a pu venir, non sans difficultés, participer aux Jeux paralympiques et représenter le peuple de Gaza qui est largement oublié des médias français et européens.", explique-t-elle.
Mina, elle, est accompagnée de ses amis dans les tribunes basses, au plus proche de l’athlète. "Je ne suis jamais venue au Stade de France. Je fais ça pour Fadi. Ça m'a touchée, j’ai appris il y a deux jours qu’il participait sans sa famille. On n'entend pas beaucoup parler des parcours de réfugiés. C’est une source d’inspiration. Il mérite beaucoup de respect", partage-t-elle avec émotion.
Dans cette finale masculine de la catégorie du lancer de poids catégorie F55, Fadi a réalisé un lancer de 8,81 mètres, se classant en dernière position. Non sans déception de ne pas avoir battu son record personnel de 10,40m, l’athlète palestinien, qui a troqué son poids pour le ballon de basket depuis 2011, a embarqué sereinement dans cette compétition en hommage à son frère tué dans la bande de Gaza, mais aussi à ses cousins et à tous les Gazaouis. "Je suis Palestinien, je joue pour le drapeau, pour notre peuple", rappelle-t-il.
En plein milieu du génocide en cours dans la bande de Gaza et malgré les galères entre lesquels il a dû jongler avant d’arriver meurtri au village olympique, Fadi Aldeeb a offert à ses supporters présents et absents une parenthèse irréelle, et au bout d’un effort d’une violence inouïe, d’une lutte contre sa propre douleur, ce temps suspendu…