Le vote musulman : réalité ou fiction ? (AP)

La France va élire son président pour un nouveau quinquennat les 10 et 24 avril prochain. Les douze candidats retenus et les partis politiques tentent de percer en mobilisant leurs partisans mais également les électeurs indécis en développant un discours englobant la majorité de l’électorat. Ainsi des questions d’ordre général suscitant l’intérêt de la population française font de nouveau surface et entraînent des débats souvent passionnés.

Les questions relatives au budget des ménages, la sécurité de l’emploi, la sécurité du pays, le chômage, l’insécurité et l’immigration sont les questions les plus récurrentes. Auxquelles s’ajoutent parfois les questions portées par certains groupes dominants ou influents comme les chasseurs.

Il convient d’inclure à ces groupes sociaux-économiques, des groupes ethnico-religieux comme les arméniens ou les juifs de l’hexagone qui profitent du climat électoral pour transmettre aux futurs décideurs leurs attentes ou revendications.

Dans un tel contexte de partage des préoccupations et de communication avec les candidats, d'aucuns seraient tentés de croire qu’il en va de même pour tous. Si tel est le cas dans la forme pour les musulmans, dans le fond il y a une différence fondamentale parce qu’il est également question lors de cette campagne présidentielle de l’Islam et de la luttre contre l’islamisme.

Même si à l’instar des institutions représentatives des juifs et des arméniens, les institutions représentatives musulmanes voient certains candidats leur rendre visite il y a un certain malaise ressenti par la population musulmane.

En l'occurrence, la différence fondamentale réside dans les messages adressés aux concitoyens français de confession musulmane. Tel est l’exemple du président Macron qui affirme haut et fort que les musulmans ont toute leur place au sein de la République tout en se félicitant des fermetures de mosquées qualifiées de radicales. Il en est de même de ministre de l'Intérieur Darmanin, ministre en charge des cultes, qui accuse Marine Le Pen de mollesse dans sa lutte contre l’Islam… radical.

De tels discours ont émergé, en particulier en France, depuis le début de ce nouveau millénaire, notamment après les attentats du 11 septembre 2001, et de l’invasion de l’Afghanistant et de l’Irak, l’Islam et les musulmans sont devenus un enjeu électoral – non pas en tant que groupe à séduire, – mais en tant que ‘’tête de turc’’ pour satisfaire un électorat d’extrême droite.

Depuis les attentats de Charlie Hebdo et de Paris la situation s’est envenimée. Le discours raciste s’est libéré et l’islamophobie s’est affirmée donnant lieu à des amalgames entre Islam, islamiste, musulman, immigré et terroriste. l’Islam et l’immigration sont devenues un enjeu de campagne électorale, les partis situés au centre de l’échiquier politique comme l’UMP de Sarkozy et LREM de Macron ont fini par emboiter le pas à l’extrême droite et on fait du musulman leur bouc-émissaire selon l’ONG CAGE qu’elle assimile à une "répression sans précédent contre l'islam et les musulmans en France sous le gouvernement d'Emmanuel Macron".

De son coté Christophe Castaner, ministre de l'intérieur de l’époque a déclaré le 19 février 2020 à France Inter vouloir intensifier la lutte contre le séparatisme islamiste. Il affirme que le séparatisme : C'est vouloir ne plus respecter les lois et les règles de la République, au nom, soit d'une influence étrangère, soit d'une religion. Il ajoute par ailleurs que ‘’Le combat que nous devons mener contre l'islamisme, il faut le mener avec, et pour les musulmans’’.

Or quelques mois après l’adoption de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (dite aussi "contre le séparatisme") les musulmans de Pessac apprenaient avec stupeur la décision de fermeture de leur mosquée pour une période de 6 mois pour idéologie salafiste. Ainsi une interprétation restrictive ou extensive de leur religion par les musulmans peut conduire ou non à une fermeture de leur mosquée. Mesure de fermeture qui a été finalement invalidée par la justice.

Certes, l’ennemi désigné est l’islam radical mais les victimes des mesures sont souvent des associations ou mosquées qui n’ont aucun lien avec la radicalité. Il est des exemples qui illustrent parfaitement cette surenchère comme la dissolution des associations CCIF et Barakacity.

Pourtant la France de la grande Guerre se targuait d’être un pays musulman avec ses nombreuses colonies et ses sujets de confession islamique et qui autorisait la construction de la Grande Mosquée de Paris pour remercier, pour ainsi dire, ses sujets musulmans de ne pas avoir accueilli favorablement les appels à la rébellion contre elle du Sultan Turc, Calife et Commandeur des croyants, allié de l’Allemagne par ailleurs.

Qu’en est il aujourd’hui ?

La France et ses musulmans

La France compte en son sein une population musulmane d’origines diverses dont le nombre varie selon les estimations. Il y a essentiellement des populations issues d’anciennes colonies françaises, tels que les maghrébins ou les populations subsahariennes mais aussi les Turcs, les Bosniaques et les Albanais.

En nombre d’adepte l’islam est devenue depuis longtemps la deuxième religion en France; 8 % de la population résidant en France âgée de 18 à 50 ans se déclarent musulmans (source : Trajectoires et Origines) contre 43 % de catholiques.

Qu’en est il de leur sensibilité politique ?

Sensibilité électorale des musulmans

Cet électorat serait de gauche selon certaines études …

D’après une étude de l’Ifop, 86 % des électeurs musulmans ont voté pour François Hollande en 2012. Jérôme Fourquet, directeur du pôle opinions de l'Ifop, affirme qu’en 2012, au second tour, 86% des musulmans interrogés par l'Ifop avaient choisi François Hollande. Beaucoup d'électeurs musulmans se sont portés sur la gauche à l'époque. Il ajoute que ça ne signifie pas nécessairement une adhésion profonde ni un vote communautaire monolithique.

Pourtant Vincent Tiberj apporte une nuance à cette affirmation puisque lors des municipales de 2014 selon certains commentateurs les musulmans auraient abandonné le Parti socialiste et la gauche en général au profit de l’UMP à cause de la loi Taubira sur le mariage pour tous.

Vincent Tiberj souligne en outre que les résultats de Claude Dargent ne sont pas très éloignés de ceux obtenus par l’IFOP. ‘’Selon eux, la proximité partisane des Français de confession musulmane sur la période 2003-2005 va d’abord au PS (entre 43,5 % et 48 %), puis à l’extrême-gauche et au PCF (entre 16,5 % et 19 %) et enfin au Verts (entre 9 % et 13 %). La droite ne compterait alors qu’entre 8,5 % à 11 % des Français musulmans, ce qui s’avère fort peu encore une fois’’.

Il est probable que la politique d’accueil des immigrés, l’acceptation de la diversité, la tolérance religieuse ainsi qu’un discours de reconnaissance comme celui de F. Hollande joue un rôle important – tout comme le rejet des mesures de Sarkozy — peut également servir d’explications aux choix électoraux des musulmans.

L’islamité est un critère pour les politiciens

Le politologue Haoues Seniguer, interrogé en 2017 par France 24, estime que l’islamité n’est qu’une variable parmi d’autres dans le choix électoral. Il précise qu’il n’y a pas de déterminant islamique qui emporte le vote. Selon lui les déterminants du vote musulman peuvent être multiples. Il cite notamment les contingences liées au parcours de chacun, la variable de la classe sociale qui entre en ligne de compte. Il note pourtant que certains musulmans vont être sensibles à la question de l’islamophobie, alors que d’autres vont se déterminer plutôt en fonction de la question palestinienne tandis que d’autres encore trancheront surtout sur les questions socio-économiques.

En revanche, Claude Dargent estime que "la confession musulmane a en elle-même un effet notable sur l’orientation du comportement politique, indépendant de la position socioprofessionnelle ; l’appartenance à l’islam pousse en France à gauche".

Par ailleurs, même si le déterminant religieux ou islamique ne joue qu'un rôle mineur chez les électeurs de confession musulmane, l’islam est bien devenue le critère à partir duquel on juge de l’intégration en France, voire en Europe. Les valeurs ont pris une importance accrue dans le jugement des politiciens, parconséquent l’islam est devenue suspecte par son caractère réputé conservateur et inassimibale. Sa position en matière de mœurs et de conduites sexuelles fait d’elle une opposante à la libération sexuelle et aux valeurs occidentales. La position réelle ou supposée de l’Islam a ainsi induit des mouvements de reconfiguration politique majeurs dans la société française, particulièrement autour de la laïcité, devenue une valeur transpartisane.

C’est dans cet ordre d’idée de défense des valeurs françaises qu’Emmanuel Macron s'est félicité des dispositions permises par sa loi contre le séparatisme et qui ont conduit à "fermer des mosquées" et à faire "contrôler des établissements" musulmans et qu’"Il faut convertir les esprits, c'est un combat culturel et civilisationnel (…)".

En outre, dans un cadre identique "L’offensive gouvernementale, lancée le 3 octobre 2020 dans la ville des Mureaux, contre le séparatisme a eu pour effet de criminaliser non seulement la frange militante des Français de confession musulmane - depuis les salafistes jusqu’aux militants des ONG humanitaires ou de défense des droits de l’homme - mais bien la quasi-totalité de ceux qui, fût-ce dans le respect parfait des exigences de la laïcité, ont pour seul défaut de ne pas avoir abandonné la pratique de leur foi", explique le politologue François Burgat à l’Agence Anadolu.

De surcroît, Vincent Tiberj note en conclusion de son étude que la société française discrimine et les populations qui sont victimes de ses discriminations s'expriment dans les urnes. Par ailleurs et surtout, il affirmait qu’à force d’insister sur l’islam, ‘’sont en train d’émerger des mouvements de défense contre les préjugés sur cette religion. Mécaniquement peut alors émerger un vote musulman, non pas parce qu’il était déjà là mais parce que les débats autour de l’islam l’auront produit’’.

Effectivement, il y a bien eu une tentative de réaction de la part des certains musulmans avec la création de partis politiques comme le PEJ et les Musulmans démocrates de France, mais ces initiatives demeures marginales ou bien sont étouffées par le discours majoritaire et des dispositifs répressifs, notamment la loi contre le séparatisme.

Par ailleurs, il est intéressant aussi de noter que la population française de confession musulmane allant voter ne représente que 2% des votants. Un sondage "sortie des urnes" réalisé par l’institut CSA lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2002 donne l’estimation suivante de la répartition religieuse des votants : 62 % de catholiques (dont 26 % de non-pratiquants), 19,5 % de sans religion, 2 % de protestants, 2 % de musulmans, 0,5 % de juifs.

C’est pour ça que le recteur de la Grande Mosquée de Paris Chems-Eddine Hafiz appelle, dans une tribune au "Monde", à s’inscrire sur les listes et à aller voter lors de l’élection présidentielle afin de contrer les discours extrémistes qui amalgament islam et islamisme. Tout comme l’avait tenté de faire, en 2017, l’UOIF avec le slogan "Pour les Musulmans de France", « la seule consigne, c’est de voter ! ».

TRT Francais