Remplacer le pétrole? La nature et la science ont des idées pour l'industrie (Reuters)

Le développement de matériaux innovants issus du végétal, recyclables ou biodégradables, soulève l'espoir de remplacer à terme les molécules issues de la pétrochimie émettrice de CO2, soulignent les chercheurs de l'institut français Inrae (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement), mondialement en pointe dans les domaines de la transition environnementale.

Sur la paillasse du laboratoire, Bénédicte Bakan, directrice de recherche à l'Inrae, aligne des petits pots: concentré de tomates, peau de tomate desséchée, monomère de tomate. Au bout du rang apparaît un carré à l'apparence de caoutchouc rouge translucide, qui garde de la peau de tomate ses deux principales propriétés: imperméable et souple.

"Les déchets de l'industrie agroalimentaire peuvent parfaitement être utilisés", explique la chercheuse. De la cuticule inutilisée par l'industrie de la sauce tomate, "on sait extraire un polymère hydrophobe et étirable", une sorte de caoutchouc, ou bien encore un liquide qui peut être utilisé comme fongicide naturel sur des arbres fruitiers, en remplacement d'un pesticide chimique.

Dans le secteur de la "bioéconomie" et des matériaux biosourcés, l'Inrae multiplie les découvertes et les brevets.

A Marseille, le biochimiste Jean-Guy Bertin fait travailler des champignons filamenteux et leurs enzymes pour dégrader des polymères difficiles à casser, comme certains plastiques, en vue de les recycler.

A Nantes, Johnny Beaugrand et ses partenaires ont travaillé avec l'équipementier automobile japonais Howa Tramico sur un prototype de garniture isolante pour un toit de voiture réalisé en voile de lin compressé.

Il a aussi fait fabriquer chez Cavi, un plasturgiste de Troyes, des tuteurs et accessoires de maraîchage contenant 40% de tiges de tomates séchées ou des clips pour accrocher les ceps de vigne à partir de fibres de chanvre.

Globalement, le "défi" de la bioéconomie est de faciliter le passage d'une économie "carbonée et pétrosourcée" à une économie "circulaire et renouvelable" par l'exploitation de la biomasse et des déchets de l'agroalimentaire ou de l'agriculture, résume Monique Axelos, directrice scientifique alimentation et bioéconomie de l'Inrae.

Par exemple en Europe, pour quelque 2,5 millions de tonnes d'huile d'olive produite par an, la filière génère 22 millions de tonnes de déchets: branches, feuilles, grignons (résidu de pulpe et fragments de noyaux), margine (résidu liquide) et noyaux.

Des géants de la chimie intéressés

Des initiatives existent pour réemployer les sous-produits de l'olive. Une société irlandaise a passé des accords avec des producteurs grecs pour l'alimentation de ses bœufs wagyu; une société française fabrique des terrains de football avec des noyaux; en Espagne, on produit une farine; au Maroc, on chauffe des hôtels.

"Mais globalement, il y a très peu de communication des entreprises sur leur valorisation des sous-produits", note Mechtild Donner, économiste à l'Inrae de Montpellier.

Son idée, la physico-chimiste Isabelle Capron l'avait d'abord jugée tellement incongrue qu'elle n'y croyait pas. Travaillant sur la cellulose (de bois ou de pâte à papier), elle a démontré qu'il s'agissait d'un élément stabilisant permettant de produire des émulsions ou gels en remplacement des tensio-actifs issus du pétrole et largement utilisés dans la fabrication de cosmétiques, peintures, pesticides ou même de bitumes.

"Cette découverte m'a surprise. Je croyais qu'on savait tout sur la cellulose, le biopolymère le plus abondant sur terre", dit-elle. Lors du dépôt de son brevet mondial en 2010, elle a ouvert un gigantesque champ d'applications.

Aujourd'hui, des géants de la chimie français et étrangers, qui s'inquiètent de voir bientôt interdits certains composés pétrochimiques en Europe, s'intéressent de près à ses travaux pour essayer de diminuer leur impact sur l'environnement. "Il faut qu'ils acceptent de revoir leur process industriels" pour intégrer ces nouvelles molécules, ce qui demandera un peu d'investissement, avertit Mme Capron.

"Le plus important est qu'en fin de vie, ces peintures, cosmétiques ou bitumes ne relargueront que des celluloses dans la nature", qui s'assimilent dans l'environnement.

AFP