150 millions d’euros sur dix ans : c’est la somme faramineuse que compterait dépenser le milliardaire Pierre-Edouard Sterin, pour permettre l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir. Intitulé Pericles, ce plan de "bataille culturelle" ambitionne de promouvoir des valeurs ultra conservatrices en finançant notamment des cercles de réflexion et des médias alternatifs. Avec en point d’orgue le remodelage de l’opinion publique. Révélé en intégralité le 18 juillet dernier par le quotidien L'Humanité, le document trace les grandes lignes d’une véritable guerre idéologique. Son intitulé "Périclès" est l’acronyme de «Patriotes, Enracinés, Résistants, Identitaires, Chrétiens, Libéraux, Européens, Souverainistes». Il est décrit comme étant fondé et dirigé par Pierre-Édouard Sterin, accompagné de deux de ses collaborateurs, François Durvye et Alban du Rostu. Régulièrement classé parmi les principaux investisseurs français dans le domaine des entreprises innovantes, Pierre-Edouard Sterin, fondateur des coffrets cadeaux Smartbox, se distingue depuis plusieurs années par ses donations à des associations partageant ses convictions ouvertement xénophobes.
Son approche stratégique, relatée dans le document en question, vise ainsi à assurer la victoire idéologique, électorale et politique autour d'un ensemble de "valeurs fondamentales". Parmi celles-ci, figurent des principes néo-libéraux, ainsi que d'autres, plus traditionalistes, comme l'affirmation d'une "place particulière du christianisme". Ces concepts flous sont agités en contraste avec des évolutions sociétales que les auteurs du document considèrent comme "les principaux fléaux” de la société française. Parmi lesquels ils incluent, dans un amalgame confus, le "socialisme, le wokisme, l'islamisme, l'immigration" ou encore "la laïcité agressive. La tentative avortée de l’achat de l’hebdomadaire Marianne s’inscrit, elle aussi, dans ce plan de propagande dont le respect de la pluralité des opinions est totalement étranger.
Le contrôle des médias pour la conquête du pouvoir
Plus généralement, l’influence des grands capitaux sur les médias est un sujet de préoccupation croissant en France. En devenant des figures clés de l'extrême droite économique et politique, Pierre-Edouard Sterin et Vincent Bolloré, illustrent parfaitement cette dynamique, se distinguant par leur emprise médiatique et leur stratégie concertée de conquête du pouvoir. Dans une entretien accordé à Slate.fr, le spécialiste des médias, Alexis Levrier, maître de conférences à l’université de Reims, qualifie cette tendance de «basculement dans l’univers des médias français qui s’est opéré en moins d’une décennie». Il affirme que «c’est la première fois dans l’histoire de France que les thématiques de l’extrême droite sont portées par des médias si nombreux et si complémentaires, puisque Bolloré est présent dans la presse écrite, dans la radio, dans la télévision, mais aussi dans l’édition, la communication, la musique ou le cinéma».
Le magnat breton incarne effectivement le modèle le plus abouti de l'accaparement médiatique en France. À la tête du groupe Vivendi, il contrôle notamment Canal+, CNews, Europe 1 et plusieurs autres médias, lui offrant un pouvoir considérable sur la diffusion de l’information. Comme le souligne Alexis Lévrier, Bolloré a méthodiquement transformé CNews en un outil de propagande idéologique, comparable à la chaîne américaine Fox News. Cette chaîne, autrefois axée sur une information généraliste, est ainsi devenue un bastion du discours réactionnaire, où des figures comme Éric Zemmour ont trouvé une tribune pour diffuser des idées d’extrême droite islamophobes.
Pierre-Edouard Sterin, fervent catholique traditionaliste, suit de son côté une trajectoire similaire, bien que son approche soit plus discrète. Il finance pour l’instant des médias alternatifs et des think tanks d’extrême droite, avec l’intention de remodeler le débat public et de soutenir des causes conservatrices. Anne-Sophie Novel, journaliste spécialisée dans les questions écologiques et sociétales, affirme dans sa revue des médias que Sterin est particulièrement actif dans le financement de projets médiatiques qui promeuvent des valeurs pro-famille traditionnelle, infiltrant progressivement les sphères où se joue l’opinion publique.
Un réel danger pour la pluralité de l’information
Selon la chercheuse Julia Cagé, l’objectif de ces milliardaires dépasse le simple contrôle des médias ; il s’agit «d’influencer durablement l’agenda politique». Dans son essai Pour une télé libre : contre Bolloré, cette économiste spécialisée dans l'économie des médias, démontre que ce contrôle médiatique est un «levier crucial pour peser sur les élections et les décisions politiques». En promouvant un discours sécuritaire, anti-immigration et eurosceptique, les médias sous contrôle de Bolloré et financés par Sterin façonnent, ainsi, une vision du monde qui trouve un écho dans les politiques d'extrême droite, voire dans les cercles de droite traditionnelle, déplaçant progressivement l’axe du débat public vers des positions de plus en plus radicales.
L'influence de Bolloré est particulièrement palpable dans la promotion de personnalités politiques en adéquation avec ses idées. Le soutien médiatique accordé à des figures comme Éric Zemmour, Marine Le Pen ou Jordan Bardella n’est pas le fruit du hasard, mais le résultat d’une stratégie délibérée de mise en avant de leaders capables de défendre un programme conforme aux intérêts économiques et idéologiques de ces milliardaires.
La concentration des médias entre les mains de quelques grands groupes pose par ailleurs un réel danger pour la pluralité de l’information et, par extension, pour la démocratie elle-même. Julia Cagé alerte sur les effets pervers de cette concentration, qui réduit selon elle la diversité des points de vue et «marginalise les voix discordantes». Les médias, censés être le quatrième pouvoir, deviennent ainsi des «instruments au service d'intérêts privés, sapant leur rôle de contre-pouvoir», selon elle.
De plus, cette emprise sur les médias est souvent accompagnée de pratiques managériales brutales. Comme l’explique Alexis Lévrier, la méthode Bolloré dans la gestion de ses chaînes repose sur une mise au pas des journalistes, avec un contrôle éditorial serré, aboutissant parfois à des licenciements de ceux qui refusent de se conformer à la ligne imposée.
Anne-Sophie Novel, quant à elle, met en garde dans son film documentaire Les médias, le monde et moi, contre l’impact de cette domination médiatique sur les enjeux sociétaux, notamment en matière d’écologie. La focalisation sur des thématiques réactionnaires détourne, selon elle, l’attention des crises environnementales, reléguant au second plan des enjeux cruciaux.
Même s’il ne possède pas les mêmes moyens financiers que Bolloré, Pierre-Edouard Sterin a parfaitement saisi l’influence considérable des médias sur l’opinion publique : il a déjà commencé à construire son propre empire médiatique et a ainsi investi dans trois médias en ligne : Néo, Factuel et Le Crayon. Ce dernier a d’ailleurs été épinglé à plusieurs reprises pour avoir donné la parole à de nombreux sympathisants d’extrême droite et accusé d'avoir orchestré une campagne de dénigrement contre Rima Hassan, suite à la diffusion d’un extrait vidéo manipulé, afin de lui accoler l’étiquette d’antisémite.