La rue fait, souvent, l’histoire de la France. Mai 68, loi de travail de 2016, gilets jaunes et aujourd’hui la réforme des retraites… Ces manifestations et tant d’autres ont façonné la vie sociale et politique du pays. La France est, sans surprise, championne des pays qui manifestent le plus et qui font le plus la grève: 114 jours de grève/an pour 1000 salariés, selon la Fondation Hans-Böckler (seul le secteur privé a été pris en compte).
Du côté de la presse étrangère, on retrouve soit des éloges qualifiant les Français de "défenseurs de leurs droits", soit de l’incompréhension totale les traitant de "fainéants" ou de "râleurs". "Il y a des choses qui ne changent jamais en France: on perd les guerres et on fait la grève !" avait clamé la BBC à l’ouverture de son journal. Les manifestations sauvages "sont devenues un élément incontournable de la vie nocturne parisienne" avait écrit de son côté le New york times. "Nous devrions tous être un peu plus Français lorsqu’il s’agit de nos retraites", avait jugé une tribune du Telegraph. Mais pourquoi les français sont-ils de bons manifestants ?
Manifester, une passion française
Manifester fait partie de l’art de vivre français. Au-delà d’un droit, protester compte vraiment parmi les moyens d'expression collective traditionnels dans la société française. Après que la révolution française en 1789 a prouvé que la rue peut amener un changement de régime, la rue s’est transformée en espace d’expression politique : dès qu’ils sont en désaccord avec le gouvernement, les français ont le réflexe de protester pour s’exprimer et faire bouger les lignes politiques.
Reconnue comme une liberté fondamentale dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la manifestation constitue même un "héritage culturel français extrêmement valorisé", selon Jean François Amadieu, sociologue.
Paris a une tradition de conflit et non une tradition de négociation, explique-t-il dans une interview à TRT Français. "Le problème du modèle français, c'est que c’est un pays qui n'a pas suffisamment de tradition de négociation, comme les pays d'Europe du Nord ou d'autres pays européens", explique-t-il.
"Les Français sont très contestataires, ils expriment sur à peu près tous les sujets, le sentiment que les choses vont mal dans leur pays. Le soutien de l'ensemble des Français aux différentes grèves et aux manifestations est toujours très élevé", détaille-t-il.
Effectivement, selon un sondage Toluna Harris Interactive, les Français sont toujours majoritaires à soutenir les manifestations et grèves contre la réforme des retraites, à 70%.
Une tolérance à la violence
Non seulement la France connaît des manifestations de masse, ces protestations revêtent aussi parfois un caractère violent. S’il est habituel de voir des images de poubelles enflammées, de vitrines cassées et de barricades en France, ce n’est pas autant le cas dans d’autres pays. "Les manifestations pacifiques dans la tradition française ne suffisent malheureusement pas", déplore le sociologue.
"Le président de la République a tendance à vouloir passer outre les organisations syndicales et les manifestations. Souvent la seule manifestation ne suffirait pas, même si elle est très importante. Ce n'est que quand les manifestations deviennent plus difficiles à gérer parce qu'il y a des débordements, de la violence, que les positions bougent dans l'exécutif”, note-t-il.
Le gouvernement va être amené très certainement à mettre en pause ou retirer la réforme des retraites en raison des violences surgissant pendant les manifestations, estime Amadieu.
Dans la tradition française, la violence est "relativement tolérée dans les limites du raisonnable", selon le sociologue. "Les Français ne soutiendront pas le fait qu’on s'attaque aux policiers en revanche, s'il y a quelques feux de poubelles, une petite barricade, une route barrée par des pneus enflammés, ils ne vont pas trouver que c'est inacceptable. Il y a une tolérance à des formes d'expression qui sont certes illégales mais finalement tolérées".
De l’autre côté de la médaille, il y a la police. Des images de violences policières font le tour de la toile presque systématiquement à chaque grande manifestation. Les affrontements entre les forces de l’ordre et les cortèges deviennent un rituel. Les affrontements avec la police sont devennus récurents lors des manifestations contre la “loi de travail” (2016), puis lors du mouvement des “gilets jaunes” (2018-2019). C’est dernièrement le cas dans les manifestations contre la réforme des retraites.
Mais malgré tout, la confiance à l’égard de la police reste grande. Selon un sondage Elabe, près de 7 Français sur 10 ont confiance dans la police, et 62 % estiment que les violences sont marginales et le fait de dérapages d’une minorité de policiers.
"Évidemment, les Français sont toujours émus et désapprouvent les dérapages ou les erreurs que des policiers peuvent commettre, mais il y a un socle très important malgré tout de soutien à la police de façon générale", conclut-il.