“Arrogant comme un Français en Afrique”. Le titre de l’essai polémique du journaliste français Antoine Glaser semble résumer la posture de Paris, suite à la décision des militaires au pouvoir à Niamey d’expulser l’ambassadeur de France, à qui l’on a accordé 48 heures pour quitter le pays.
Le ministère nigérien des Affaires étrangères a déclaré que" face au refus de l’ambassadeur de France à Niamey de répondre à l’invitation (...) pour un entretien vendredi et d’autres agissements du gouvernement français contraires aux intérêts du Niger, les autorités ont décidé de retirer leur agrément, à M.Sylvain IItte et de lui demander de quitter le territoire nigérien sous quarante-huit heures."
Le ministère français des Affaires étrangères a immédiatement réagi en indiquant que la junte au pouvoir à Niamey n'avait pas la capacité de faire cette demande, “l’agrément de l’ambassade émanant des seules autorités nigériennes légitimement élues”.
Pour Raphaël Mvogo, journaliste et spécialiste de l’Afrique de l’Ouest, “la France est restée dans une logique de condescendance, donc d’arrogance”.
Elle a été confortée, explique-t-il, dans la posture guerrière selon laquelle on obtient tout par la force.
“On impose les chefs d’État par la force. Ceux qui refusent d’être à notre solde, on les éjecte, on organise des coups d’État. Voilà le logiciel des différents exécutifs français en Afrique et qui se retourne contre la France aujourd’hui”, ajoute-t-il.
Les coups d’État ont pullulé ces derniers temps en Afrique de l’Ouest, Mali, Burkina Faso et le Niger à présent. “Des coups d’État en contestation de la Françafrique”, d'après l’expression du chercheur et spécialiste camerounais de relations internationales et stratégiques Fabrice Noah.
Un phénomène enraciné visiblement dans l’héritage colonial de la France en Afrique.
Les Français, souligne le politologue malien Idrissa Sangaré, “sont venus en Afrique avec ce qu’ils ont appelé la mission civilisatrice comme module de domination. Ils ont instauré des systèmes politiques et imposé des dirigeants à cet effet”. Pour Sangaré, feu Léopold Sedar Senghor, l’ancien président sénégalais, était le dirigeant modèle de ce système.
La succession des coups d’État qu’on observe au Niger et dans le Sahel en général, illustre le rejet de ce système de domination piloté par l’ancien colon, d’après le politologue.
Dans les rues de Niamey, au plus fort des contestations contre la politique française, n’a-t-on pas vu des pancartes avec des “À bas la France” et des drapeaux russes brandis par des manifestants.
Contestation de la Françafrique
Pour le cas précis du Niger, les défenseurs de la démocratie et de l’ordre constitutionnel ont du mal à admettre ce qui est présenté comme “un coup d’État de trop”.
“Les généraux ne peuvent s’arroger le droit de défier-sur un coup de tête – la volonté du peuple”, avait critiqué Volker Turk, le Haut commissaire de l’ONU aux droits de l’homme.
Ahmed Tinubu, le président du Nigeria lors de la cérémonie de son investiture en mai dernier, avait juré d’en finir avec les coups d’État en Afrique de l’Ouest. Le Nigeria, leader politique et économique de la région, pilote actuellement la présidence de la CEDEAO.
L’engagement du président Tinubu pour le retour à la démocratie au Niger peut être interprété comme “une volonté d’assumer le leadership régional”.
Mais le politologue Idrissa Sangaré s’interroge sur la qualité de la démocratie en vigueur dans le Sahel en général et dans l’Afrique francophone en particulier.
“Le taux de participation aux élections, généralement faible, peut traduire une défiance des systèmes politiques par les citoyens incrédules”, explique le politologue, tout en se demandant comment peut-on être crédible et avoir la légitimité lorsque sur 7 millions d’électeurs, il n'y a que trois qui participent au processus électoral.
Les élections sont-elles devenues des rituels vidés de sens pour légitimer des hommes liges de la Françafrique ?
D’ailleurs, la manière avec laquelle le coup de force a été accompli pour renverser le président nigérien élu Mohamed Bazoum interroge autant que l’acceptation du putsch, par une bonne partie de la population.
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Les populations oubliées
En 60 ans d’indépendance, le Niger n’a pu véritablement sortir des rangs des pays les plus pauvres de la planète:7ᵉ fournisseur mondial d'uranium, mais aussi 7ᵉ sur la liste des pays les plus pauvres du monde, avec “40 pour cent d’enfants victimes d’insuffisance pondérale, trois quarts de la population analphabètes et l’accès à l’eau potable rare”, alors que 41 % de la population totale vivent dans l'extrême pauvreté.
De même, seule 18% de la population a accès à l’électricité, l’un des taux d’électrification les plus bas du continent, alors que la moyenne en Afrique est de 50 %, d’après les statistiques de la Banque mondiale.
Pour le politologue Idrissa Sangaré cela est paradoxal d’autant plus que le pays est l'un des plus grands pourvoyeurs d’uranium à la France qui refuse de dévoiler les statistiques. “Orano (ancien Areva qui exploite l’uranium au Niger, NDLR) aurait été bien inspiré de construire une petite centrale pour alimenter les populations. Il y a un manque de volonté”, déplore-t-il.
Au-delà du Niger et du Sahel, la contestation de la politique française en Afrique se nourrit aussi d’un ensemble d’erreurs et de manquements qui ont blessé l’amour-propre des populations africaines.
De profondes blessures
Aujourd’hui, la France s’abstient d’intervenir directement en Afrique. Mais dans un passé récent, certaines interventions militaires françaises dans le continent ont laissé de profondes cicatrices et heurtent encore l'amour-propre des populations africaines.
L’opinion publique a toujours en tête l'intervention militaire française en Côte d'Ivoire en 2011 pour installer le président Allasane Ouattara au pouvoir à la suite d'une présidentielle controversée. Le 11 avril 2011, après des bombardements du palais présidentiel par les forces conjointes de la MINUCI (Mission des Nations-Unies en Côte d'Ivoire) et de la France, l'ancien président ivoirien est extirpé de sa cachette, hébété, apeuré et débraillé tel un vulgaire personnage.
Cette image humiliante hante encore l'inconscient collectif de l'opinion publique africaine et entretient un grand ressentiment contre Paris.
Que dire alors de l'assassinat de Mouammar Khadafi, l'ex-président libyen ? La France, par l'entremise de l'ancien président Nicolas Sarkozy, s'est illustrée comme l'un des piliers de l’opération de la coalition occidentale lancée pour évincer l’ancien dirigeant libyen.
Si Kadhafi était décrié pour de graves atteintes aux droits de l’homme dans son pays, en Afrique subsaharienne l’opinion publique le considère comme “un authentique panafricaniste”. C’est pourquoi, beaucoup d'Africains jubilent des malheurs judiciaires de l'ancien président Nicolas Sarkozy, au sujet du financement de sa campagne électorale par des fonds libyens.
Autre point d’achoppement plus antérieur, la mort de Thomas Sankara le 15 octobre 1987 sous les balles d'un commando à Ouagadougou. On ne connaît à ce jour ni les circonstances ni les commanditaires de la mort brutale d'un leader adulé et respecté par tout un continent.
On s'interroge encore sur les rôles de Blaise Compaoré (ami du défunt et ancien président burkinabè), Houphouet Boigny (ancien président ivoirien et proche de la France), François Mitterrand (ancien président français). Mais pour l'opinion publique, c'est la France qui est derrière la mort de son "héro".
Enfin, "les responsabilités accablantes" de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda en avril 1994 est une tache sombre dans la mémoire collective de beaucoup d'Africains.
Pour une nouvelle politique africaine de la France
Visiblement, comme le reconnaît le politologue béninois Romaric Badoussi, le contexte a changé en Afrique alors que la France est demeurée prisonnière de son passé colonial.
"La France a continué à perpétuer ce passé à travers le néo-colonialisme incarné par la Françafrique au point de devenir extrêmement encombrant. Le contentieux colonial non soldé entre la France et ses anciennes colonies est amplifié par les évènements en cours".
Si la France veut avoir droit au chapitre, insiste Idrissa Sangaré, elle doit composer avec un nouveau contexte.
“Les jeunes bien formés, souvent dans les meilleures institutions d’enseignement supérieur, sont retournés en Afrique avec de nouvelles exigences. À la France de s’adapter”, conclut le politologue.
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