François Burgat est convoqué le 9 juillet au commissariat d'Aix-en-Provence / Photo: AFP (AFP)

La convocation ne précise pas les propos qui conduisent l’ancien chercheur du CNRS devant la police, mais François Burgat croit deviner qu’il s’agit d’un post sur X après les attaques du 7 octobre. Il avait retweeté un communiqué du Hamas en janvier dernier qui niait les accusations de crimes sexuels. Plusieurs enquêtes ont depuis démontré que ces crimes n’étaient pas réels, mais que dans la confusion qui régnait après les attaques du Hamas, des bénévoles sauveteurs avaient mal interprété les indices sur le terrain, tirant des conclusions sans fondement.

François Burgat avait accompagné sa publication d’un “J'ai infiniment, je dis bien infiniment plus de respect et de considération pour les dirigeants du Hamas que pour ceux de l'État d'Israël.” Une déclaration qui a été reprise par de nombreux médias et a provoqué des réactions ulcérées. The Times of Israël avait même relayé le tweet, en titrant: “Le chercheur François Burgat poste un message semblant faire l’apologie du Hamas.”

Quant à savoir si le procureur s’est auto-saisi ou s’il y a eu plainte, le regard de François Burgat se tourne vers le CRIF (Conseil Représentatif des Institutions juives de France) et l’OJE (Organisation Juive Européenne) qui ont été à l’origine de la plupart des convocations pour “apologie du terrorisme” depuis le 7 octobre. Ces associations se portent partie civile et demandent des dommages et intérêts, qui souvent sont très lourdes pour les personnes incriminées.

Selon le ministère de la Justice, entre le 7 octobre et janvier 2024, il y a eu 626 convocations pour “apologie du terrorisme. “ Si les organisations juives sont parfois à l’origine des poursuites, les procureurs de la République ont également reçu des consignes. Dans une circulaire signée le 10 octobre 2023 par le ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti, il est demandé aux procureurs d’engager des poursuites pour apologie du terrorisme pour tout propos public “vantant les attaques” de l’organisation islamiste ou “les présentant comme une légitime résistance à Israël”.

Le chercheur s’attend à être condamné

Le politologue français s’attend à une condamnation. “On est dans une période folle. Une soirée organisée sous le titre “Dehors les étrangers” à Rouen est interdite par le maire puis autorisée par le tribunal administratif.” Le chercheur en veut pour preuve les condamnations pour “apologie du terrorisme” qui se succèdent. En février, un militant pro-palestinien est condamné à Montpellier à un an de prison avec sursis. En juin dernier, Ismaël Boudjekada est condamné par le tribunal de Nanterre à 20 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité pour avoir écrit que “le Hamas est un mouvement de résistants palestiniens.”

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Dès lors, les propos de l’ancien chercheur ont forcément attiré l'attention de la justice. “Ma ligne de défense est simple” souligne François Burgat, “je cite le général de Gaulle qui en novembre 1967 lors d’une conférence de presse revient sur la guerre des six jours et disait: “Israël organise sur les territoires qu’il a pris l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression et expulsion et il s’y manifeste contre lui la résistance qu’à son tour il qualifie de terrorisme !“ (Cf. Source INA conférence de presse du Générale de Gaulle du 27 novembre 1967)

Faire condamner le chercheur à la retraite serait aussi une sorte de victoire symbolique pour les organisations juives qui s’attèlent à museler tout discours contradictoire, et surtout tout discours documenté, ici un spécialiste qui connaît très bien la région du Moyen-Orient.

L’avocat de François Burgat milite pour l’abrogation de cette infraction. “Cette loi de 2014 a été écrite pour lutter contre la promotion du jihad vers la Syrie. Aujourd’hui, on demande au juge de prendre une décision sur un mot politique et non juridique. Le mot terrorisme est politique. Le simple fait de donner le contexte historique sur la question palestinienne est devenu passible de poursuites en France.”

Défendre les Musulmans, une position minoritaire en France

Si François Burgat est un spécialiste reconnu de l’Islam politique, il est également depuis plusieurs années littéralement boycotté, accusé d’être un “islamo-gauchiste”, même lorsque les débats concernent la Palestine ou le Hamas, il n’est pas consulté. D’après le chercheur, cela dure depuis quatre années. “Aujourd’hui en France quand il y a le mot Islam, il n’y a pas de débat, il y a surenchère.” Selon François Burgat, la dissolution du CCIF (Collectif contre l’Islamophobie en France) en septembre 2019 a marqué un tournant. Depuis, le débat sur l’Islam, les espaces de discussion se réduisent comme une peau de chagrin.

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Pour Rafik Chekatt, l’avocat de François Burgat, la multiplication des procédures pour “apologie du terrorisme” a un effet dissuasif, mais “c’est surtout anti-intellectuel. On ne veut pas discuter des faits, les évoquer est devenu répréhensible.”

“L’islamophobie est devenu un discours d'État. Dans l’espace public, il n’y a plus de place pour un discours rationnel, documenté, intellectuel, “ ajoute François Burgat. Les racines du problème sont évidentes pour l’intellectuel, “Dans les obsessions de l'extrême droite, la problématique décoloniale a pris le pas sur la problèmatique anti-sémite. La droite en France était anti-juive, elle est devenue anti-arabe et anti-musulmane. l’Etat juif n’est pas soutenu en tant qu’état juif mais en tant qu’état anti-musulman.”

On pense derechef à la position actuelle pro-juive du Rassemblement national. Le parti émane pourtant du Front national qui était viscéralement anti-sémite ou à des militants de la cause juive comme Serge Klarsfeld, connu pour sa traque des anciens nazis, qui aujourd’hui soutiennent le RN. Dans cette dynamique, les Palestiniens sont assimilés à des islamistes, les musulmans sont soupçonnés d’être des terroristes.

Dans le contexte politique tendu des législatives anticipées en France, François Burgat admet avoir espéré que le sursaut de la participation profite à la gauche. Les Français musulmans se sont plus mobilisés mais moins que les abstentionnistes de droite apparemment, regrette-t-il.

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