La crise née du renversement par la force le 26 juillet dernier du président du Niger Mohamed Bazoum révèle deux approches différentes entre Washington et Paris pour le retour à l’ordre constitutionnel. Les États-Unis se sont clairement positionnés pour une résolution pacifique de la crise par les voies diplomatiques, au moment où la France penche plutôt vers une intervention armée de la Cédéao.
« Il est certain que la diplomatie est le moyen préférable pour résoudre cette situation. C'est la démarche de la Cédéao, c'est notre démarche et nous soutenons les efforts de la Cédéao pour rétablir l'ordre constitutionnel », a déclaré Antony Blinken, le Secrétaire d’État américain.
Paris opte pour la force
La France de son côté est favorable à une intervention armée des pays de la Cédéao pour ramener Mohamed Bazoum au pouvoir.
Catherine Colonna, la ministre française des Affaires étrangères, pense que les militaires"feraient bien de prendre la menace d'intervention militaire par une force régionale très au sérieux... Plusieurs de ces pays disposent de forces robustes et ont fait savoir qu'ils étaient prêts à intervenir si c'était nécessaire... Nous soutenons pleinement, comme tous nos partenaires, les efforts des pays de la région pour restaurer la démocratie au Niger."
Dans l’ensemble, reconnait un politologue béninois, les divergences ne sont pas assez prononcées entre les deux alliés dans la lutte contre le terrorisme dans le Sahel.
« Globalement, indique Romaric Badoussi, leurs activités diplomatiques dans le contexte actuel du Niger ne sont pas aussi divergentes que ça. En général, les deux États sont sur la même ligne. Ils reconnaissent que Bazoum est le président légitime, appellent à sa libération et au retour à l’ordre constitutionnel. Il peut y avoir des différences d’approche, mais les objectifs sont les mêmes. »
Les deux pays sont aussi préoccupés par la montée de l’influence russe dans la région et le risque que cela présente pour leurs intérêts. « Les États-Unis ont deux bases militaires à Niamey et à Agadez tout comme la France qui a ses bases militaires dans le pays », fait remarquer le politologue.
Selon l'Agence d'approvisionnement d'Euratom (AAE), le Niger est le troisième fournisseur d'uranium de la France pour la période 2005-2020, assurant 19 % de l'approvisionnement après le Kazakhstan et l'Australie.
Une rivalité sournoise
N’empêche que chaque camp tente d’asseoir son influence pour mieux défendre ses intérêts.
Et sur ce terrain, fait remarquer le politologue malien Idrissa Sagare, « les Américains mettent une pression subtile à la France qui n’est plus en mesure de contenir seule la montée en puissance de la Russie ou de lutter contre les djihadistes.»
Pragmatiques, souligne-t-il, « ils savent s’adapter au terrain et font avec les gens qui sont aux affaires».
Entretemps, la diplomatie américaine s’active dans les négociations avec les militaires au pouvoir pour le retour à l’ordre constitutionnel. Victoria Nuland, la sous-secrétaire d’État s’est rendue à Niamey le 8 août dernier à cet effet. Même si elle n’a pu rencontrer le général Abdourahamane Tiani, le chef des militaires au pouvoir, encore moins l’ancien président Mohamed Bazoum, elle s’est entretenue avec le général de brigade Moussa Salaou Barmou, nouveau chef d'état-major de l'armée, et d'autres responsables.
Il est important de souligner, par ailleurs, la nomination d’une nouvelle ambassadrice à Niamey « alors que le poste était vacant depuis un an ». Kathlenn FitGibbon, une diplomate de carrière, devrait prendre fonction la semaine prochaine, même sans avoir présenté les lettres de créance ».
Visiblement, les Américains gagnent du terrain au Niger et marquent leur territoire dans un pays qui, naguère, était considéré comme faisant partie du pré-carré français en Afrique.
Pendant ce temps, la tension ne fait que monter entre Niamey et Paris, donnant l’impression que les relations autrefois cordiales entre les deux pays se sont « distendues » au fil du temps. Le service des visas du consulat de France à Bamako a suspendu la délivrance des documents de voyage depuis le 8 août, alors que les manifestations pour exiger le départ des soldats français au Niger sont devenues banales.