"Depuis quelques années, on voit arriver des jeunes de plus en plus jeunes, de 12-13 ans voire moins", confirme François Souret, directeur général adjoint d'une association locale, Addap13, en charge, avec quelque 180 éducateurs de rue, de la prévention spécialisée.
"Avant, ils avaient un ou deux problèmes, aujourd'hui ils cumulent des carences éducatives, des problèmes familiaux, une absence de cadre et l'omniprésence des réseaux de deal qui n'hésitent pas à leur faire des propositions telles qu'il leur est très difficile de refuser."
Le docteur Jokthan Guivarch, pédopsychiatre, expert près la Cour d'appel d'Aix-en-Provence (sud), voit lui aussi "de plus en plus de très jeunes en détention pour des faits criminels". "Ces mineurs vivent dans des familles parfois impliquées dans le trafic - les parents, les grands frères... Il est alors très compliqué de suivre une autre voie".
"Il y a un délitement autour des valeurs transmises aux enfants. Ils sont confrontés à un milieu où il n'y a pas de règles mais création de nouvelles règles autour de la criminalité dès le plus jeune âge. C'est un modèle ambiant", insiste-t-il.
Dimanche, le procureur de Marseille Nicolas Bessone a dénoncé l'"ultra-rajeunissement" des auteurs d'homicides - au nombre record en 2023, avec 49 morts, dans la deuxième ville de France -, mettant en cause une "perte totale de repères", une "sauvagerie inédite" et "le rôle des réseaux sociaux".
Le jeune meurtrier de 14 ans, arrêté vendredi, avait été recruté par un détenu membre d'une mafia marseillaise de la drogue pour venger, contre 50.000 euros, la mort d'un autre adolescent, recruté lui aussi via les réseaux sociaux. Ce dernier avait été poignardé une cinquantaine de fois puis brûlé vif, dans un quartiers gangréné par le trafic de stupéfiants.
Pour exécuter son contrat, le jeune tueur à gages avait pris un VTC, dont il a tué le chauffeur de 36 ans, qui refusait de l'attendre. Originaire du Vaucluse, ayant des parents eux-mêmes détenus dans des affaires de stupéfiants, il vivait en foyer depuis ses neuf ans.
"Rapport faussé à la mort"
"Or ce sont des enfants. Il y a une forme d'imitation, souligne le dr Guivarch. Leur rapport à la mort est faussé, du fait de leur jeune âge mais aussi de leur milieu, de ce qu'on leur a transmis ou pas". Pour l'expert, l'hyperviolence des jeunes ne fait que refléter celle des réseaux de grand banditisme. "La criminalité marseillaise aujourd'hui n'a plus rien à voir avec celle des années 1980-1990".
Pour François Souret, "à leur âge, ils sont dans une histoire, ils se font un film, se créent un jeu, ils se cagoulent, tiennent une arme. Ce sont les modèles qu'ils ont devant eux, alors ils s'identifient. Cette ultraviolence est liée aux réseaux de deal", accuse-t-il, dénonçant également l'"ultraviolence des jeux vidéos et du numérique".
Le rôle des réseaux sociaux est aussi mis en cause par le pédopsychiatre : "On a déjà vu la place des réseaux sociaux, d'internet dans la radicalisation, c'est aujourd'hui la même chose pour le recrutement par les bandes criminelles."
"Carences énormes"
"Certains de ces jeunes, ajoute le dr Guivarch, ont souffert de carences très précoces. Ils sont confrontés à des milieux où on leur apprend à ne plus écouter leurs émotions, ne plus avoir peur par exemple". "Il leur faut un suivi psychologique pour apprendre à comprendre ce que l'autre ressent (...), pour développer de l'empathie".
Mais, assure-t-il, "il ne faut pas être défaitiste. Si on fait ce travail d'éducation, de suivi psychologique, ces enfants-là iront mieux".
"Ce sont des gamins qui ont des carences psychologiques énormes, abonde Francois Souret. Mais on arrive peu à peu à les accrocher, à les accompagner."
Dans le département des Bouches-du-Rhône, les éducateurs de l'Addap13 sont au contact de 20.000 jeunes, dont 6.000 bénéficient d'un accompagnement renforcé.
"On demande aux éducateurs d'essayer de les capter de plus en plus jeunes. Mais autant chez des ados de 17 ou 18 ans on peut convoquer une certaine maturité, chez les 10-12 ans, cette maturité n'existe pas, ce sont les plus difficiles à capter", confirme le dr Guivarch.
"Mais ça fonctionne si on les aide. Les professionnels du social ou de la psychiatrie savent ce qu'il faut faire, il leur faut des moyens et surtout du temps, et donc une politique publique de long terme", insiste M. Souret.