Un mois après une adoption chaotique au Parlement, les neuf "Sages" du conseil chargé notamment de se prononcer sur la conformité des lois à la Constitution, décideront de censurer ou non tout ou partie de ce texte qui restreint le regroupement familial, l'accès des étrangers non-européens à certaines prestations sociales et met fin à l'automaticité du droit du sol.
De l'aveu même du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, qui a porté ce texte, plusieurs dispositions sont "manifestement et clairement contraires à la Constitution" et certains au sein de l'exécutif espèrent ouvertement une censure partielle. Selon les experts, des dizaines de mesures pourraient être invalidées.
Le président Emmanuel Macron a toutefois défendu le projet, qui a été considérablement durci aux termes d'un compromis avec la droite et a été adopté avec les voix du Rassemblement national (RN, extrême droite).
C'est "le bouclier qu'il nous manquait", a estimé le chef de l'Etat le 20 décembre, au lendemain du vote, tout en reconnaissant que certaines dispositions "ne plaisent pas", mais en récusant l'idée qu'il consacrerait la "préférence nationale" chère au RN.
Le parti d'extrême droite a, lui, revendiqué une "victoire idéologique" après l'adoption du texte.
Le vote, auquel 27 des 248 députés de la majorité présidentielle se sont opposés, a en revanche divisé les soutiens du président Macron. Tenant de l'aile gauche du gouvernement, le ministre de la Santé Aurélien Rousseau a ainsi démissionné après le vote.
Malgré la tempête, le gouvernement a préféré s'entendre avec la droite et éviter un fiasco à l'Assemblée, où il ne peut s'appuyer que sur une majorité relative, à quelques mois d'élections européennes à haut risque, pour lesquelles l'extrême droite est donnée gagnante.
Le chef de l'Etat a toutefois décidé de saisir le Conseil constitutionnel, lui confiant de fait un rôle d'arbitre politique sur un texte explosif, qui a encore fait descendre dans la rue des dizaines de milliers d'opposants dimanche.
"Situation complexe"
Cette stratégie n'a pas été du goût de tous. Le Conseil constitutionnel n'est pas "une chambre d'appel des choix du Parlement", a recadré son président, l'ex-Premier ministre socialiste Laurent Fabius, qui rendra sa décision avec les huit autres membres de l'instance.
Le Conseil "n'est pas là pour rattraper nos bêtises", interprète l'un des 27 députés du camp présidentiel ayant voté contre le projet.
Plusieurs constitutionnalistes se sont, eux, émus de voir un gouvernement assumer de faire voter un texte qu'il sait en partie être contraire à la Constitution.
"Ce n'est pas la première fois qu'un gouvernement maintient des dispositions litigieuses dans un texte pour obtenir un vote, mais c'est la première fois que cette stratégie est clamée et reconnue comme telle", analyse le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier.
Attendue après 16H30 (15H30 GMT), la décision des Sages promet d'être longue s'agissant d'un texte passé, au fil des tractations, de 27 à 86 articles.
Une des mesures les plus contestées impose aux non-Européens une durée de résidence minimale pour bénéficier de prestations sociales, dont les allocations familiales, fixée à cinq ans pour ceux ne travaillant pas et 30 mois pour les autres.
Figurent également des durcissements des conditions du regroupement familial, comme l'allongement de la durée de résidence pour y prétendre, de 18 à 24 mois. Une violation du droit à une vie familiale normale, estiment les opposants.
L'instauration de "quotas" fixés par le Parlement pour plafonner le nombre d'étrangers admis sur le territoire est aussi remise en cause, tout comme la caution demandée aux étudiants étrangers.
Le Conseil "est dans une situation politique complexe", observe la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina. "Il sait que s'il censure beaucoup de choses, il arrange paradoxalement le camp présidentiel. Sa décision est donc, même s'il juge uniquement de la constitutionnalité des lois, éminemment politique".