"Arme nucléaire" pour les uns, "utile pour gouverner" pour les autres : tant d’expressions paradoxales pour qualifier l’article 49.3, dont les usages s'enchaînent à l’Assemblée nationale. Faute de majorité absolue, la première ministre Elisabeth Borne l’a activé une onzième fois ce jeudi pour faire passer le projet de loi tant contesté de la réforme des retraites.
C’est une "preuve de faiblesse", affirmait Nicolas Sarkozy à propos de cet article qui permet d’adopter une loi sans passer par le vote des députés et auquel l’ancien président n’a jamais eu recours durant son mandat, se vantant d’un choix "politique".
"J’ai refusé, pas au nom de considérations institutionnelles, mais politiques. La démocratie sans politique, c’est la démocratie des technos", avait-il précisé lors d’un colloque à l’institut de France en octobre dernier.
De son côté François Hollande, alors député, l’avait lui aussi vivement critiqué : "Le 49.3 est une brutalité. Le 49.3 est un déni de démocratie. Le 49.3 est une manière de freiner le débat parlementaire". Cela ne l’a pourtant pas empêché d’y avoir recours à six reprises durant ses cinq années de mandat présidentiel.
Une question de timing
Rendant inopérante l’action des élus, cet outil magique porte-t-il atteinte à la démocratie ? Tout est une question de temporalité. S’il est utilisé trop tôt, les députés n’auront pas le temps de débattre, et son utilisation se rapproche alors d’un coup de force du gouvernement envers le parlement. Or, si le 49.3 intervient après que les députés ont eu le temps de prendre parole, de débattre et d’adopter certains amendements, son utilisation se rapprochera plus d’une démarche démocratique.
Un instrument dénaturé
"Il y a eu malheureusement une dénaturation du 49.3 constituant à l’utiliser non pas pour créer une majorité lorsqu’elle n’existe pas mais pour accélérer l’adoption d’un texte", soutient un expert. Puisqu’au moment où il est activé, tous les débats sont immédiatement interrompus, expliquait en décembre dernier à TRT Français Jean Philippe Derosier, spécialiste de droit constitutionnel, au moment où Elisabeth Borne l’utilisait une dixième fois pour faire passer des projets de loi de finance.
"Lorsqu’il est utilisé dans cet état d’esprit là, c’est une forme de déni de démocratie, parce que cela empêche les députés de débattre du texte" ajoutait-il.
Selon Derosier, Elisabeth Borne l’a d’ailleurs utilisé fin 2022 pour couper court au débat. "Elle ne laisse pas le débat et la discussion parlementaire aller jusqu’à son terme, justifiant du fait que la loi doit être adoptée avant la fin de l’année et que donc il faut aller vite", note-t-il.
"La Première ministre, sous prétexte qu’elle n’aurait pas la majorité, ce qui est vrai, active le 49.3 mais l’active trop tôt dans le cadre de la procédure pour ne pas avoir à débattre trop d’amendements, et peut être même, ne pas voir certains amendements qui ne plaisent pas au gouvernement être adoptés", conclut-il.
"Le Macronisme devient un autoritarisme. Avec le 49.3, nous avons la preuve qu'ils ont encore choisi la brutalité", critiquait d’ailleurs devant la presse, la présidente du groupe La France Insoumise, Mathilde Panot.
La motion de censure, une contrepartie insuffisante ?
Qui dit 49.3, dit motion de censure. Théoriquement le 49.3 ne constitue donc pas une sécurité totale pour l’exécutif. À tout moment, l’opposition peut en voter une pour contraindre le gouvernement à la démission. Mais en pratique, elle reste difficile à adopter. Jamais une motion de censure déposée suite à un 49.3 n’a abouti au renversement d’un gouvernement.
"Cette contrepartie est-elle donc inefficace ?" peut-on se demander naturellement. Or, pour Derosier, ce n’est pas la bonne question. "Fort heureusement, l’adoption d’une motion de censure est exceptionnelle. Si cela se réalisait régulièrement, ce serait un signe d’instabilité parlementaire", estimait-il.
Une des solutions serait de ne pas modifier le mécanisme de motion de censure mais de revoir l’encadrement du 49.3, suggère le juriste qui fait référence à la réforme constitutionnelle de 2008 qui limite l’usage du 49.3 à une seule utilisation par session hors texte budgétaire.
"Il ne fallait pas le limiter au nombre de textes, mais plutôt à l’instant où il pouvait être engagé. Une bonne formule aurait été de limiter son activation à la fin de la discussion parlementaire, à la fin du débat législatif pour ne pas couper la voix des parlementaires", estimait-t-il.
Autre point critique : le respect des amendements. Ce qui pose un problème démocratique est le non-respect des amendements puisque le gouvernement enclenche le 49.3 sur la version du texte qu’il souhaite, avec ou sans les amendements adoptés par le parlement, le gouvernement peut même choisir quel amendement retenir. C’est d’ailleurs ce qui dépite les députés.
Pour le reste de l’année, le gouvernement va devoir négocier avec l’opposition pour faire passer d’autres lois mais sa position de grande fermeté est de courte vue. Les débats sur les bancs de l’Assemblée ne risquent pas de s'apaiser de si tôt...