La situation socio-politique de la France concernant la liberté religieuse est inquiétante. C’est le constat du sociologue Raphaël Liogier qui s’est exprimé dans une interview à TRT Français. Les jeunes filles vont faire face à "une police de vêtements" à la rentrée qui jugeront la longueur de leur robe, circonstance que Liogier qualifie de "lamentable et scandaleux". Pour le sociologue, cette décision s'inscrit dans une "continuité inquiétante" de la politique du gouvernement de Macron.
"L’État transgresse son obligation de laïcité en prétendant la faire respecter"
Depuis la promulgation de la loi de 2004 interdisant les signes ostentatoires à l'école publique, la question du voile a été au centre des débats en France. Le sociologue souligne que le caractère problématique de cette loi est qu'elle impose une définition de ce qui est religieux ou non religieux. Ce qui, selon lui, contredit le principe de laïcité de l'État. Ainsi, l'État enfreint sa propre obligation de laïcité en tentant de la préserver.
"L'État, qui est supposé être laïque, ne doit pas donner de définition de ce qui est religieux ou pas religieux. Puisqu’une définition qui distingue ce qui est religieux de ce qui ne l’est pas, c'est une définition religieuse. Donc l'État transgresse son obligation de laïcité en prétendant la respecter" , explique-t-il.
Porte ouverte aux préjugés, à l’arbitraire et aux discriminations
Selon le sociologue, la loi ou la circulaire auraient dû servir à éviter les interprétations arbitraires, mais au lieu de cela, les décisions ministérielles ont contribué à une interprétation encore plus large de la loi, ouvrant la porte à l'arbitraire, aux préjugés et aux discriminations.
"Au lieu de faire ce qui aurait dû être normal dans une République qui respecte son propre droit et ses propres principes, le ministre a fait l’inverse. Il aurait dû faire une circulaire interprétative, pour dire qu’on ne pouvait pas interpréter au-delà du port du voile pour limiter l'arbitraire, les préjugés et le racisme et l’islamophobie" nous révèle-t-il.
Au lycée Thiers à Marseille, plusieurs élèves se sont même présentées le 5 mai 2023 en robes longues après un appel à se mobiliser contre l'islamophobie au lycée, quatre d’entre elles avaient été interdites d’entrée.
La situation actuelle suscite des inquiétudes pour Liogier qui critique la tendance croissante à restreindre la liberté vestimentaire au point où même des tenues courantes pourraient être interdites, si elles sont associées à une symbolique religieuse. Cette approche va à l'encontre de l'essence même de la laïcité, qui devrait permettre à chacun de s'exprimer librement sans pression extérieure.
"L'objet de la laïcité c'était de permettre à chacun d'exprimer ce qu'il a à exprimer librement et sans pression. Là, c'est l'État lui-même qui fait pression, c’est scandaleux. La loi est faite pour éviter l'interprétation arbitraire et limiter le point de vue. Ici, la décision du ministre augmente l'interprétation arbitraire et donne la possibilité au point de vue discriminatoire, de s'exprimer encore plus. Ce qui est complètement insensé, c'est l’inversement du sens de laïcité et le renversement du sens de la loi", a déploré le sociologue.
"Le manque de foi en la République"
L'analyse du sociologue ne s'arrête pas là ; elle invite notamment à une réflexion profonde sur la véritable essence de la laïcité et de la République. Il associe la situation actuelle à un manque de foi envers les principes républicains fondamentaux de liberté et d'égalité. Selon lui, la société française et le gouvernement semblent avoir perdu foi en ces principes et agissent superficiellement en leur nom. Au lieu de représenter les valeurs transcendantales de la République, le ministère cède aux tendances du moment, contribuant ainsi à une guerre des identités.
Le sociologue termine avec un constat poignant : "Ce qui est en train de se passer aujourd'hui, cette guerre des identités, cette interdiction aux musulmans de s'habiller comme ils le veulent, est le symptôme du manque de foi dans nos principes. Ce n’est pas de l'expression de la foi dans la République, c'est le manque de foi dans la République".
Selon Liogier, le ministre de l’éducation trahit la promesse de transcendance du principe de liberté et égalité, qui est normalement la sienne, et celle de la République.
"La République n'est normalement pas une identité. La République c'est le dépassement de toute identité. Et maintenant on en fait une identité, c'est à dire que pour être républicain, il ne faut pas s'habiller d'une certaine manière", regrette le sociologue.