Trente-quatre ans après la dislocation de l'URSS, la Fédération de Russie tente de reprendre le flambeau en Afrique avec le concept de sommet Russie-Afrique.
Quatre ans après la première édition tenue à Sotchi du 23 au 24 octobre 2019 sur les bords de la mer noire, voici la seconde édition à Saint-Pétersbourg du 27 au 28 juillet 2023. Dans un contexte d'isolement par l'Occident, du fait de la guerre en Ukraine, Moscou compte sur ses relations avec l'Afrique pour résister à l’Occident.
La Fédération de Russie a actionné plusieurs leviers qui vont de la "coopération militaire" au business des céréales et des engrais en passant par les médias, l'éducation et la culture.
1- La coopération militaire
Pour bien comprendre l'action de la Russie en Afrique, rien de mieux que l'observation de sa présence en République centrafricaine, d'après Charles Bouessel, chercheur à International Crisis Group.
Bangui est devenu "le laboratoire par excellence de l'influence russe sur le continent". La société militaire privée Wagner apparaît ainsi comme le bras armé de Moscou en Afrique. Déployée en Libye et au Soudan, elle fait davantage parler d'elle en Centrafrique et au Mali. "Arrivée en RCA fin 2017, explique le chercheur, Wagner comptait initialement un millier de combattants, aujourd'hui, on en dénombre un millier, des conseillers politiques auprès du président (...)."
La Russie est aussi devenue le principal fournisseur d'armes de la RCA, rendant ipso facto caduc l'embargo imposé par les Nations unies. Depuis 2018, Moscou est le principal fournisseur d'armes du continent, avec 26% des parts de marché, d'après un rapport de l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm.
2- Les médias et les influenceurs
L'intérêt des médias d'État russes pour l'Afrique est perceptible. RT et Sputnik accordent une grande place au continent. Le narratif pourfend "la logique néocoloniale de l'Occident en Afrique".
Charles Bouessel d'International Crisis Group évoque la présence "d'une cellule communicationnelle, qualifiée par certains de cellule de propagande, auprès du président Touadera".
La chaîne de télévision russe RT (Russia Today) a même noué un partenariat avec Afrique Média, une télévision panafricaine émettant de Yaoundé. Elle est très critique envers la France, en particulier, et l'Occident en général.
À côté des médias traditionnels, la Russie a aussi rallié la sympathie de célèbres influenceurs sur les réseaux sociaux comme la suisso-camerounaise Nathalie Yamb, "la dame de Sotchi", ou encore du franco-béninois Kemi Seba.
3- La fourniture des céréales
La plupart des pays africains dépendent des importations ukrainiennes et russes de blé. Le non-renouvellement de "l'accord céréalier" fait planer la menace d’une famine en Afrique. La fourniture des céréales est un grand levier de l'influence russe en Afrique où beaucoup de dirigeants redoutent les émeutes de la faim".
"Je tiens à vous assurer que notre pays est capable de remplacer le blé ukrainien aussi bien à titre commercial qu'à titre gratuit, surtout que, cette année, nous nous attendons une fois de plus à une récolte record", a tenu à rassurer le président Poutine, dans une tribune dans plusieurs journaux russes et africains.
4- La question des engrais
Le conflit Russo-ukrainien perturbe la livraison des engrais sur le continent. Beaucoup de livraisons n'ont pu arriver à bon port du fait des sanctions européennes à l’encontre de Moscou. Pourtant, de nombreux pays sur le continent dépendent de la Russie pour leur approvisionnement de cette denrée stratégique.
De 262 000 tonnes d'engrais bloqués dans les ports européens, la Russie regrette de n'avoir réussi à envoyer que deux lots, 20 000 tonnes au Malawi et 34 000 tonnes au Kenya.
"Le reste est toujours entre les mains malhonnêtes des Européens",dénonce le président Poutine dans sa tribune.
Lorsqu'on sait que l'essentiel des pays africains tirent leurs devises de la vente des matières premières agricoles comme le café, le thé, le cacao ou encore le coton, l'inquiétude demeure palpable.
5- Éducation, culture et jeunesse
Moscou bénéficie dans une certaine mesure des retombées de la formation dans les universités de l'ex-URSS de nombreux cadres africains. Certains occupent de hautes fonctions dans leur pays.
C'est le cas notamment de Sadio Camara, le ministre malien de la Défense ou encore du ministre congolais des Affaires étrangères, Jean-Claude Ngakosso.
Ces cadres, qu’ils soient juridiques, politiques ou militaires, sont autant de facteurs d’influence potentiels en faveur de la Russie.
Les universités russes accueillent actuellement 35 000 étudiants africains dont 6000 boursiers du gouvernement, d'après les chiffres officiels.
En mars 2024, Sotchi abritera le Festival mondial de la jeunesse. L'événement rassemblera plus de 20 000 représentants de plus de 180 pays pour "un dialogue ouvert, amical, informel, libre de barrières idéologiques et politiques, des préjugés raciaux et religieux". D'ores et déjà, le chef de l'État russe y a invité les jeunes africains.