Des manifestants jettent une poubelle lors d'une manifestation anti-immigration à Rotherham, en Grande-Bretagne. / Photo: Reuters (Reuters)

L’un est le portrait robot du ploutocrate, l’autre est le modèle référence de la jeunesse issue de l’immigration; le premier a acheté (littéralement) son influence à coup de milliards de dollars, le deuxième a été élu démocratiquement après un parcours d’excellence et de dur labeur. On ne peut être plus contrastés que les profils d’Elon Musk et Humza Yousaf, mais leur dernière altercation va les départager davantage.

La semaine dernière, au festival d'Édimbourg, M. Humza a osé faire face au milliardaire excentrique, l’accusant d’attiser la guerre civile au Royaume-Uni et en Europe à travers son réseau social X. "C’est l'un des hommes les plus dangereux de la planète!" C’est ainsi qu’il a qualifié sans ménage le patron de Tesla et Space X qui s’est payé la plateforme la plus influente pour dicter le bon sens.

Les propos de l’ancien Premier ministre d’Écosse interviennent dans le sillage de l’onde de choc provoquée par les émeutes qui ont éclaté à la suite de l’assassinat de trois fillettes par un adolescent souffrant de troubles psychiques. Une campagne d’intox orchestrée par la nébuleuse newfasciste britannique, dont le réseau X s’est fait l’écho, a répandu de fausses rumeurs sur l’identité du forcené qui n’était ni musulman, ni demandeur d’asile. Les cibles étaient désormais tracées aux hordes des suprémacistes blancs : les centres d’hébergement des demandeurs d’asile et les mosquées.

Depuis sa résidence de luxe à Chypre, Tommy Robinson, le fondateur du groupe islamophobe English Defense League, déclarait ouverte “la chasse à l’immigré”. C’est le réseau X qui servait de plateforme à cet ancien membre du groupuscule néofasciste British National Party, pour mener la cadence de la vague de haine, amplifiée par son propriétaire lui-même.

Robinson, incarcéré plus d’une fois après condamnation pour crimes de droit commun, dont l’agression d’un policier, a pourtant été banni du réseau à l’oiseau bleu, alors enclin à privilégier la diversité et le libéralisme américain. En s’offrrant Twitter, pour 44 milliards de dollars, Musk a non seulement renversé l’emblématique enseigne privilégiée des célébrités et politiciens, lui substituant un “X” noir et blanc menaçant, mais a également ouvert le réseau aux personnages les plus controversés, dont Robinson et Donald Trump, devenant ainsi le medium de prédilection des milieux populistes et de droite.

Les “camps de détention” de Musk

L’imprévisible milliardaire a rétorqué en traitant M. Yousaf, issu de parents immigrés pakistanais et défenseur de droits des minorités, de "super raciste... ordure" avant de le défier de le poursuivre en justice. M. Musk a également qualifié l'ancien dirigeant du SNP de "Keir à deux vitesses", reprenant un sobriquet utilisé dans les milieux d’extrême droite qui prétendent que la police réservait aux manifestants musulmans un traitement de faveur.

Les deux rivaux avaient déjà croisé le fer il y a un peu plus d’un an, lorsque des commentaires faits par Humza en 2020 ont refait surface sur Twitter. Musk avait qualifié le nationaliste écossais de "raciste flagrant". En avril, le patron de Tesla est revenu à la charge, attaquant le SNP et une politique soutenue par M. Yousaf.

Les hostilités entre les deux hommes ont repris de plus belle à la suite des émeutes de l’extrême-droite que Musk et son réseau sont accusés d’avoir contribué à attiser. Sans compter sa tolérance grandissante pour les fausses informations et la littérature de propagande des néofascistes, Musk a distillé lui-même des dizaines de prises de positions et fake news condamnables. L’une des plus flagrantes est un faux article du Telegraph affirmant que Keir Starmer envisageait d'envoyer des émeutiers d'extrême droite dans des “camps de détention” aux Malouines. Musk a supprimé son message au bout d'une demi-heure, mais une capture d'écran publiée par le site Politics.co.uk montre qu'il avait recueilli près de deux millions de vues avant d'être supprimé.

“J’ai des doutes”

Premier dirigeant de gouvernement issu d'une minorité ethnique et premier musulman à diriger un grand parti britannique lorsqu'il est devenu chef du SNP et premier ministre d'Écosse en mars 2023, Humza Yousaf est l’archétype d’une génération qui se réclame sans complexe d’un pays multiethnique et inclusif. Cette assurance a pris un coup après les troubles "absolument horribles" de la semaine dernière, à telle enseigne qu’il a été amené à se demander si sa famille avait un avenir au Royaume-Uni.

"La vérité, c'est que je ne sais pas si mon avenir, celui de ma femme et de mes trois enfants se déroulera ici, en Écosse ou au Royaume-Uni, voire en Europe et en Occident, car depuis quelque temps, je m'inquiète vraiment de la montée de l'islamophobie”, s’est-il confié au podcast The News Agents.

M. Yousaf, qui a démissionné de son poste de Premier ministre en mai, considère que la montée de l'extrême droite est encouragée par l'islamophobie en Europe, au Royaume-Uni et en Occident.

Les émeutiers, insiste-t-il, "s'en prenaient à des personnes noires, asiatiques ou musulmanes, ce qui, une fois de plus, nous ramène au langage utilisé bien trop souvent dans notre politique, à savoir que les gens n'adoptent pas nos valeurs".

Une analyse que Musk se gardera de diffuser parmi ses 193 millions de followers. Selon le Center for Countering Digital Hate, une organisation américaine qui surveille les discours de haine sur les réseaux, l’homme le plus riche du monde a relayé, depuis janvier, une cinquantaine de fausses informations dont son énorme bourde : la guerre civile est inévitable au Royaume-Uni.

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