C’est une véritable déflagration législative que risquent de susciter les amendements à la procédure pénale que le Sénat a adoptés ce mercredi.
Approuvé en première lecture, certes, l’article 3 du projet de loi dite “d’orientation et de programmation du ministère de la Justice” est de nature à appeler à une levée de boucliers pour en délimiter le contour et restreindre la portée, à défaut de la rejeter en bloc.
L’article autorise les autorités à recourir à des procédés qui, jusque-là, suffisaient à qualifier un gouvernement d’autoritaire et ses décisions d’arbitraires.
“Lorsque les nécessités de l’enquête ou de l’instruction relative à un crime ou un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement l’exigent, le juge des libertés et de la détention, à la requête du procureur de la République, ou le juge d’instruction peut autoriser (…) l’activation à distance d’un appareil électronique à l’insu ou sans le consentement de son propriétaire ou possesseur aux seules fins de procéder à sa localisation en temps réel», dispose le texte présenté par le garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti.
Ainsi, aux fins de la géolocalisation d’une personne soupçonnée d’implication dans des transgressions d’un certain degré, un juge d’instruction peut-il autoriser l’activation d’un appareil électronique lui appartenant à son insu et, bien entendu, sans son consentement.
Il est précisé, toutefois, que l’activation de micros et de caméras pour capter son et images serait limitée aux enquêtes relatives au terrorisme, à la criminalité organisée et à la délinquance.
Adieu à la vie privée ?
Du côté de la société civile, on dénonce la “surenchère sécuritaire” et on met en garde contre les risques de basculer vers une société de surveillance généralisée.
En cas d’adoption, ce texte “démultiplierait dangereusement les possibilités d’intrusion policière, en transformant tous nos outils informatiques en potentiels espions”, estime l’Observatoire des Libertés et du Numérique, un collectif qui compte dans ses rangs notamment la Ligue des droits de l'Homme, le Centre d'Études sur la Citoyenneté, des syndicats et des experts.
“Il est, à cet égard, particulièrement inquiétant de voir consacrer le droit pour l’Etat d’utiliser les failles de sécurité des logiciels ou matériels utilisés plutôt que de s’attacher à les protéger en informant de l’existence de ces failles pour y apporter des remèdes”, relève un communiqué de l’Observatoire.
C’est “la porte ouverte à une surveillance généralisée”, s’inquiète l’écologiste Guy Benarroche, qui résume ainsi les doléances des partis de gauche.
Les tentatives émanant de ce côté-là de l’hémicycle pour supprimer ou du moins refondre certaines dispositions n’ont pas encore abouti. Seul amendement concédé par le Sénat, sur requête du président du groupe Les Républicains, Bruno Retailleau, se rapporte à la limitation du recours à la géolocalisation aux infractions punies d’au moins dix ans d’emprisonnement, contre cinq ans dans le texte initial.
Les partis de gauche avaient demandé un réaménagement plus profond qui exempterait les journalistes, à l’instar des parlementaires, magistrats ou avocats.
“Rien de nouveau”
Le gouvernement d'Elisabeth Borne insiste qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter, puisque la réforme n’apporte rien de nouveau !
Ces procédés sont “déjà appliquées” sauf que leur mise en œuvre nécessite actuellement l’installation de micros et de caméras espions, ce qui expose des agents publics à de grands risques, explique le ministre de la Justice.
Dupond-Moretti assure, à qui veut entendre, que les nouvelles dispositions, déjà entourées de
“garanties importantes”, ne pourront être appliquées qu’après approbation par un juge.