Fin juin 2023, la mort du jeune Nahel, tué par un tir de policier à Nanterre (ouest de Paris) lors d'un contrôle routier, une affaire érigée en symbole du débat sur les violences policières, avait entraîné des émeutes d'une ampleur exceptionnelle à travers le pays.
En réponse à ces troubles lors desquels des écoles, des tribunaux et d'autres bâtiments publics avaient été attaqués, causant un milliard d'euros de dégâts selon un rapport du Sénat, le gouvernement a adopté un discours plus sécuritaire.
En juillet 2023, le portefeuille de la Ville, jusqu'ici occupé par l'ex-socialiste Olivier Klein, a été confié à Sabrina Agresti-Roubache une élue de la ville de Marseille (sud) coutumière des déclarations polémiques, qui a assumé un discours où primait la sécurité, selon elle première demande de ses interlocuteurs sur le terrain.
Mais en matière de sécurité comme ailleurs, les annonces faites n'ont pas été suffisamment suivies d'effets, voire pas du tout, dénonce Gilles Leproust président de l'association Ville et Banlieue et élu communiste.
"On est pour le moins sur notre faim", lâche-t-il d'emblée. "Il y a beaucoup d'effets d'annonce. Mais concrètement, on voit bien le décalage, à chaque fois, entre discours et réalité".
"Et c'est un vrai problème, parce que comme il y a un décalage entre ce qui est dit et le vécu d'une partie de la population, ça renforce chez les habitants un regard très critique par rapport à l'action publique", craint-il.
"A rebours"
Au-delà de la sécurité, Elisabeth Borne, alors Première ministre, avait détaillé en octobre 2023 plusieurs mesures visant à améliorer la mixité sociale et les services publics dans les 1.514 "quartiers prioritaires de la politique de la ville" (un dispositif gouvernemental).
Identifiés par un critère de revenu par habitant, ces quartiers où vivent plus de 5 millions de personnes, ont un taux de chômage supérieur à celui du territoire national.
Mme Borne avait promis de développer les "cités éducatives" visant à prendre en charge les élèves plus longtemps, souhaité que les ménages les plus précaires ne soient plus installés dans les quartiers prioritaires ou encore annoncé un plan pour développer l'entrepreneuriat.
"Il y a des choses qui ont été annoncées sur l'emploi, l'éducation, mais il y a tout le soutien aux associations, tout le volet prévention de la délinquance et actions à dimensions socio-économiques, qui est un peu le parent pauvre", juge Christine Lelévrier, urbaniste à l'université Paris-Est-Créteil.
En outre la politique de la ville pâtit de l'austérité budgétaire. Dans les coupes de 10 milliards d'euros annoncées en février par Bruno Le Maire, elle a été amputée de 49 millions, soit 7,6% du budget initialement voté (640 millions).
Cette enveloppe spécifiquement dédiée aux quartiers les plus défavorisés est insuffisante pour compenser les inégalités de traitement qu'ils subissent de la part des autres politiques publiques, dites "de droit commun", juge Renaud Epstein, sociologue à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye.
"Depuis un an, les évolutions des grandes politiques publiques ne vont pas dans le sens d'un traitement favorable des quartiers, bien au contraire !", dit-il.
Et de citer le projet de loi logement - avorté en raison de la dissolution de l'Assemblée nationale, décidée par le président français Emmanuel Macron après la déroute de son camp aux élections européennes le 9 juin - présenté en mai par le gouvernement.
Celui-ci prévoyait d'assouplir les objectifs de construction de logements sociaux pour les mairies en-deçà des quotas légaux, fixés depuis près d'un quart de siècle dans le but de rééquilibrer l'offre de logement social et abordable en France. Selon Renaud Epstein, ce projet allait "à rebours de 25 ans de tentatives de déségrégation".
En outre "aucune réforme, aucun questionnement sur les pratiques policières dans les quartiers n'a émergé", note-t-il, alors que les rapports entre la police et la population des quartiers populaires a été le déclencheur des émeutes.
"La politique de la ville comme politique publique, avec ses crédits, ses programmes, elle continue comme avant, sans changements. Mais du côté des politiques sectorielles, ça va à l'inverse (de ce qu'il faudrait faire), et du côté des discours, c'est stigmatisant", estime le sociologue.
"Emmanuel Macron lui-même, qui avait pourtant eu des discours plutôt libéraux et bienveillants à l'égard des quartiers pendant sa première campagne présidentielle, n'a plus aujourd'hui qu'un discours de rappel à l'ordre", observe-t-il.
Le flou persiste en outre sur l'avenir de la rénovation urbaine, principal poste de dépenses de la politique de la ville, alors que l'agence nationale qui la pilote n'a plus de présidente depuis l'entrée au gouvernement de Catherine Vautrin en janvier.