Human Rights Observer (HRO) a dénoncé, ce mardi, "un montage juridique raciste" contre des migrants expulsés de façon illégale et violente de deux camps de fortune à Grande-Synthe (Nord) en 2021.
Dans une vidéo partagée sur Twitter et lors d'entretiens accordés mardi à l'Agence Anadolu (AA), l'organisme indépendant de surveillance des violences d'État commises contre les personnes exilées dans la zone frontalière franco-britannique, a fustigé une décision du tribunal judiciaire de Dunkerque.
Octobre 2021: des expulsions illégales et violentes
Les 13 et 26 octobre 2021, deux camps de fortune abritant plusieurs centaines de migrants, dans l'attente d'un passage clandestin au Royaume-Uni, sont totalement détruits par les forces de l'ordre à Grande-Synthe (Hauts-de-France) et ces personnes, déjà forcées à l'exil dans leurs pays respectifs, se voient expulsées du camp alors que leurs affaires personnelles sont confisquées avant d'être détruites.
Interrogé par AA, le coordinateur* de Communication et Plaidoyer de Human Rights Observer (HRO) explique que "les expulsions à Grande-Synthe et à Calais sont monnaie courante" et qu'il "y a en moyenne une expulsion majeure par semaine à Grande Synthe".
"Donc à HRO, on essaie de les documenter au maximum, d'être tout le temps présent lors des expulsions pour pouvoir documenter au maximum les violences qui sont commises, toutes les destructions qui sont faites", ajoute-t-il.
Le porte-parole de HRO rapporte que les 13 et 26 octobre, "il y a eu deux grosses expulsions qui ont été assez violentes, notamment au niveau des destructions de biens", et précise que les tentes et les biens des exilés sont totalement saisis et détruits, comme lors de chaque expulsion à Grande-Synthe, alors que les migrants sont privés de leurs droits humains fondamentaux.
Soutien de HRO et Utopia 56
Les scènes de destruction sont alors filmées et documentées par Human Rights Observer (HRO), qui, lors de maraudes, rencontre six victimes voulant attaquer en justice, la légalité de la méthode de ces expulsions.
En décembre 2021, avec le soutien de HRO, Utopia 56 -une autre association française d'aide aux exilés- et de l'avocat Jérôme Giusti, ces six personnes saisissent le tribunal judiciaire de Dunkerque.
La coordinatrice* juridique de HRO, interrogée par AA, explique que "les requérants ont saisi le juge sur la forme et non sur le fond", faisant état des "erreurs notables de l'huissier ayant dirigé la procédure d'expulsion, notamment la non-signification de procès-verbaux de l'expulsion aux personnes expulsées, l'absence d'inventaire pour la saisie lors de l'expulsion et la non-transmission par l'huissier des indications sur comment récupérer leurs biens, et la destruction de leurs affaires".
Concernant la non-signification des procès-verbaux de l'expulsion aux personnes expulsées, la coordinatrice juridique de HRO souligne que "les personnes expulsées dans le camp de Grande-Synthe n'ont aucune preuve de l'expulsion qui a eu lieu, alors que légalement, l'huissier est censé remettre un papier en disant "vous avez été expulsé tel jour".
S'agissant de l'inventaire des biens saisis, elle explique qu'il "n'y a pas d'inventaire qui est fait alors que légalement, pour toute procédure d'expulsion, surtout quand il y a des saisies de biens, un inventaire doit être fait et l'huissier doit dire "aujourd'hui, on a saisi (par exemple) quatre tentes, trois sacs de couchage, etc. ". Il doit remettre cet inventaire aux personnes à qui appartiennent ces objets et il doit leur donner un moyen de les récupérer," explique-t-elle.
Enfin, la coordinatrice juridique explique que "légalement, la destruction des affaires ne devrait pas avoir lieu puisqu'on est dans le cadre d'une expulsion et que légalement, les affaires peuvent seulement être saisies pour ensuite être récupérées par les personnes expulsées. Ce qui n'est pas le cas parce que les tentes, les sacs de couchage sont saisis et ensuite détruits par les autorités", déplore-t-elle.
Décision du tribunal
Ces nombreuses injustices infligées aux exilés expulsés, couplées à la brutalité des expulsions, mènent ainsi Human Rights Observer (HRO) et Utopia 56 à soutenir et accompagner les plaignants dans leur procédure judiciaire.
"L'audience a eu lieu en mai, et on pensait que ça s'était plutôt bien passé", explique le coordinateur Communication et Plaidoyer de HRO avant d'exprimer son "désespoir" à la suite de la décision du Tribunal judiciaire de Dunkerque, le 12 juillet dernier.
Sur les réseaux sociaux, une porte-parole* de HRO a déploré le verdict.
"Le juge s'est contenté de décider que notre demande était irrecevable, car nous n'apportions pas la preuve de la présence des personnes requérantes sur le lieu de vie pendant les expulsions. Et pourtant, il cite lui-même dans sa décision une attestation de témoin d'une membre HRO qui reconnaît sur l'honneur avoir rencontré les requérants qui lui ont relaté avoir subi les interventions du 13 et du 26 octobre 2021" explique-t-elle et déplore que "le juge a donc décidé que notre parole n'avait aucune valeur" avant de faire état d'une contradiction.
"Il n'a fait preuve d'aucune honnêteté intellectuelle sur cette question, puisque c'est précisément parce que l'huissier n'a pas respecté la loi en ne remettant pas le procès-verbal de l'expulsion aux personnes expulsées, qu'on leur refuse l'accès à la justice", dénonce la porte-parole de HRO.
Le coordinateur Communication et Plaidoyer de HRO, interrogé par AA, précise pour quelles raisons, on ne voit pas les visages des migrants sur les vidéos filmées par l'ONG.
"On ne filme jamais les visages des personnes exilées par respect pour leur vie privée et aussi parce que ça pourrait rendre un peu plus difficile leur demande d'asile à certains endroits", précise-t-il.
"C'est une décision qui est d'autant plus étonnante que l'huissier est abonné au non-respect de la loi", fustige la porte-parole de l'ONG dans la vidéo postée sur Twitter, avant de préciser, vidéo à l'appui, que le 1e août, sur le campement de Loon-Plage [Hauts-de-France], ce même huissier "a fait enlever une cuve d'eau pendant une expulsion, privant les personnes exilées de leur seul point d'eau en temps de canicule".
"Comment fournir des preuves d'habitation quand on vit sur un campement qui est détruit et expulsé toutes les semaines et alors que l'huissier ne respecte pas ses propres obligations légales ?", demande-t-elle avant de dénoncer "un montage juridique raciste et bien étudié qui prive sciemment les personnes exilées de leur droit à un procès équitable" et d'ajouter que "c'est extrêmement grave".
Le coordinateur Communication et Plaidoyer de HRO, interrogé par AA, fustige cette décision juridique.
"C'est honteux, c'est désespérant. Et encore une fois, on fait face à un montage juridique qui est mis en place pour maintenir le statu quo actuel en France, c'est-à-dire une politique de harcèlement envers les personnes exilées, alors qu'on avait clairement apporté des preuves que les expulsions en question n'avaient pas été menées dans la légalité", déplore-t-il.
"C'est honteux, tout simplement honteux que dans notre pays, ce soit possible que de telles décisions puissent être prises, privant les personnes de leurs droits légaux les plus fondamentaux, notamment de l'accès en justice", déclare-t-il.
La porte-parole de HRO, explique que "maintenant, les personnes requérantes sont loin de tout ça. Elles ne vont pas faire appel de cette décision", avant d'exprimer la détermination de l'association de soutien aux migrants à "continuer de combattre les politiques racistes et inhumaines de non-accueil, à la frontière franco-britannique".
* Du fait de la politique de Human Rights Observer (HRO), les noms des membres HRO interrogés ne sont pas divulgués