L'actrice Leïla Bekhti a affiché son soutien au peuple palestinien en arborant un badge couleur pastèquecouleur pastèque (Reuters) (Others)

Peut-on être ouvertement pro-palestinien dans l’espace culturel français sans être “blacklisté?” Posé notamment par l’ancien Premier ministre, Dominique de Villepin, ce débat met-il en lumière “une domination financière” sur le marché du divertissement en France ?

Face au massacre perpétré par l’armée israélienne, la majorité des artistes ne sont, en effet, pas sortis de leur silence, quelques voix courageuses, exceptées. En témoigne, la dernière édition du Festival de Cannes où seulement une poignée de personnalités ont exprimé leur soutien à la Palestine. Parmi elles, l'actrice française Adèle Haenel, qui a défilé avec un keffieh, le réalisateur britannique Ken Loach, connu pour son engagement politique à gauche ou encore l’actrice australienne Cate Blanchett, qui a arboré fièrement une robe aux couleurs du drapeau palestinien.

Dans une tribune publiée le 4 juin par le journal Libération, 235 figures françaises et francophones ont, quant à elles, exhorté Emmanuel Macron à reconnaître l'État de Palestine. Parmi les signataires figurent d’éminentes personnalités de la culture telles que l'écrivaine Annie Ernaux et le cinéaste Costa Gavras.

“Campagnes d’intimidation et pressions financières”

Bien que les langues commencent progressivement à se délier, des stars du septième Art tels que Djamel Debbouze ou encore Omar Sy, pour ne citer qu’eux, restent toujours de marbre face à la sanglante actualité. Pourtant, les soutiens décomplexés à Israël se sont enchaînés à un rythme indécent. Gérard Darmon, Arthur, Yvan Attal et bien d'autres n’ont effectivement pas hésité à manifester publiquement un soutien indéfectible à l’armée de Netanyahu. Sans essuyer le moindre grief. Dès lors, qu'est-ce-qui pourrait expliquer le double standard qui sévit dans le show-business français s’agissant du drame humanitaire de Gaza ?

L'ancien Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, avait ainsi pointé du doigt “les pressions terribles” que subiraient les artistes qui osent exprimer leur soutien à la Palestine. Lors d'une interview télévisée diffusée en novembre dernier, il avait explicitement regretté que "les artistes qui prennent position en faveur de la Palestine subissent des pressions considérables (…) Ils sont souvent victimes de campagnes d'intimidation destinées à les faire taire. Cela va à l'encontre des principes de liberté d'expression que nous devons défendre vigoureusement", avait-il ajouté.

D. de Villepin avait même osé évoquer “la domination financière” qui permettrait d’imposer le silence aux artistes pro-palestiniens. Des déclarations qui avaient soulevé une vague d’indignations dans les cercles favorables à Israël.

Aux États-Unis, la célèbre actrice Susan Sarandon avait elle aussi affirmé que ses prises de position contre le massacre perpétré par Netanyahu l'avait mise sur la liste des bannis d’Hollywood.

En France, la donne semble peu ou prou être la même : autocensure, pressions des sociétés de production et peur du bannissement bâillonneraient de nombreux artistes.

Voices for Gaza ou l’exception qui confirme la règle ?

Dans ce climat qui confine à l’omerta, une initiative a toutefois émergé et fait de plus en plus parler d'elle ; c’est le collectif d’artistes Voices For Gaza

Interrogée par TRT français, la porte-parole du collectif, l’autrice Claire Touzard raconte sa genèse et ses objectifs :”L’initiative a commencé à prendre forme suite à la publication d’une tribune parue dans le magazine Télérama, intitulée Culture Pour un cessez le Feu et qui a rassemblé 300 signatures de personnalités issues du monde de la culture. L’idée était de transmettre les témoignages des horreurs que vivent les Gazaouis à travers des voix fortes du monde de la culture telles qu’Anna Mouglalis, Leila Bekhti, Susan Sarandon, Réda Kateb et Camélia Jordana pour ne citer qu’elles”.

Claire Touzard regrette par ailleurs que "le narratif de ce massacre ait été tellement détourné par les médias” que certains artistes ont eu peur de s’engager, de surcroît dans un climat islamophobe. “Mais les langues se sont progressivement déliées face à l’horreur du massacre et de plus en plus d’artistes osent désormais franchir le Rubicon. ”L’impératif humanitaire a, en effet, progressivement pris le pas sur la peur ou l’autocensure”, assure-t-elle.

Interrogée justement sur une éventuelle difficulté à convaincre les artistes de participer aux clips de Voices for Gaza, Claire Touzard assure que cela a finalement été relativement simple bien qu’elle regrette que de nombreuses figures importantes de la culture française restent silencieuses face au massacre perpétré par l’armée israélienne.

“Je ne peux pas être neutre face à un tel drame humanitaire”

Interrogé lui aussi par TRT français, l’étoile montante du cinéma français, l’acteur Radouan Leflahi assure de son côté avoir accepté “sans hésitations” de prêter sa voix à Voices Of Gaza. ”Mes premières prises de paroles sur les réseaux sociaux ne datent pas d'octobre dernier. La cause palestinienne m’a toujours tenu à cœur, mais à l'époque, je n’étais pas connu. Aujourd’hui, ma voix a un impact qui est plus concret. Je ne peux donc pas être neutre face à un tel drame humanitaire”.

Le jeune acteur admet, par ailleurs, avoir subi des “pressions professionnelles indirectes” en raison de ses prises de positions. “J’ai indirectement subi des pressions, oui, mais je suis suffisamment installé dans le métier pour que ma voix compte, mais pas assez pour que je puisse faire peur à des marques ou à des producteurs...Et au final, je me suis dit, à partir de maintenant que ce sera quelque chose qui sera inhérent à mon travail. Je suis même allé jusqu’à porter un Keffieh lors de mes castings…je sais que j'ai été viré de certains projets à cause de ça, même si ça n'a pas été directement dit, mais je sais qu’il y un lien avec mon engagement en faveur du peuple Palestinien. Et ça ne me pose aucun problème. Je ne défendrai pas le projet de gens qui ne partagent pas les mêmes convictions humaines que moi”.

Le sionisme quasi-institutionnalisé

Contacté par TRT français, Youssef Boussoumah, historien, membre fondateur du parti Indigènes de la République (PIR) et militant en faveur de la cause palestinienne, restitue ce climat de censure dans une perspective historique.

”Nous sommes dans une longue séquence islamophobe en France entamée en 2004 avec l’adoption de la loi sur les signes religieux à l'école. Et le monde de la culture n’échappe pas à cette tendance. À chaque fois qu'il y a une agression israélienne sur la Palestine, cela fait écho et renforce le camp islamophobe et plus généralement l'ordre impérialiste car le sionisme s'intègre totalement dans les intérêts de l'impérialisme”.

Youssouf Boussoumah partage par ailleurs le constat de Dominique de Villepin concernant les pressions financières que subissent les artistes. ”Les machines commerciales qui constituent le show business, laissent de moins en moins de place à la contestation. Le sionisme s’est quasi-institutionnalisé dans ces milieux. Car les maisons de production ont vu l'intérêt commercial que ça pouvait représenter de se fondre dans ce cadre idéologique plus conforme”, dit-il.

“Les producteurs regardent avant tout les courbes de vente ! Bien que la pression idéologique médiatique islamophobe et sioniste, influe, elle aussi, sur ces milieux. Pour résumer, la sphère idéologique impérialo-fasciste et le monde du show-business se renforcent l’un l’autre depuis le 11 septembre 2001. Dans cette optique, les artistes hésitent à manifester leur solidarité avec le peuple palestinien car ils ressentent une pression professionnelle et idéologique combinée“, ajoute l’historien.

Blockout 2024

Outre-Atlantique, la mobilisation en faveur de la Palestine est plus explicite. En témoignent les revendications du Mouvement Blockout 2024 qui appelle au boycott des personnalités publiques qui ne soutiennent pas ouvertement la Palestine.

Amplifié sur les réseaux sociaux, il vise à mettre en lumière l'inaction ou les positions jugées pro-israéliennes de certaines célébrités. Parmi les figures visées, on retrouve la chanteuse Rihanna, accusée d'avoir effacé un post pro-palestinien avant de le remplacer par un message plus neutre.

La présentatrice Ellen DeGeneres a, également, été pointée du doigt pour son soutien affiché à Israël.

Ces actions de boycott visent donc à exercer une pression publique pour encourager ces personnalités à prendre position en faveur de la Palestine. Et le mouvement a traversé l’Atlantique et est désormais présent en France. Djamel Debbouze et Omar Sy ont d’ailleurs été parmi les premières personnalités publiques à avoir été épinglées pour leur silence concernant le génocide en cours à Gaza.

Tant et si bien que l’initiative semble avoir enclenché une vague de soutien aux Palestiniens. De nombreuses vedettes de l’Hexagone sont en effet sorties de leur mutisme et ont, enfin, exprimé un soutien clair au peuple de Gaza, à l’instar du chanteur Faudel qui a, au passage, reproché aux artistes français de ne pas le suivre, par peur, de son engagement, pourtant très récent…zèle du converti, crainte du boycott ou sincère indignation ? On laissera les lecteurs trancher !

TRT Francais