Alors que les autorités françaises pensaient avoir apaisé la colère de l’Algérie en envoyant, le 8 septembre dernier, Anne-Laure Le Gendre, conseillère spéciale pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient du président Emmanuel Macron, pour un entretien de deux heures avec Abdelmadjid Tebboune, la tension reste vive. Comme en 2022 face à l’Espagne, qui avait subi la colère d’Alger pour son soutien au Maroc, les autorités algériennes ont brandi l’arme des sanctions économiques. Cela a débuté fin juillet, lorsque le ministère algérien de l’Industrie a informé le constructeur automobile Renault, du gel de son usine à Oran (Ouest). Bien que l’infrastructure était prête, le ministre Ali Aoun avait informé l’ambassade de son ouverture imminente après des mois d’atermoiements. Mais le gel des relations diplomatiques entre les deux États a conduit à l’arrêt brutal des échanges économiques.
Importation du blé français
À cela s’ajoute une décision prise début octobre, consistant à arrêter l’importation de blé français. “L’Algérie a exclu les entreprises françaises d’un appel d’offres pour l’importation de blé cette semaine et a exigé que les entreprises participantes ne proposent pas de blé d’origine française, ce qui semble être une retombée des tensions diplomatiques renouvelées entre Alger et Paris”, a rapporté l’agence Reuters, citant des sources commerciales. Pourtant, en juin, Alger avait commandé 800 000 tonnes de blé tendre à Paris, dans le cadre d’achats annuels de plus de 7,5 millions de tonnes, dont une grande partie provenait de l’Hexagone. Afin d’éviter des remous avec l’Union européenne, avec laquelle elle a signé un accord d’association, l’Algérie a agi discrètement pour exclure les entreprises françaises. “Six sources au fait du dossier ont déclaré que, cette fois-ci, les entreprises françaises n’ont pas reçu d’invitation à participer, tandis que les entreprises non françaises qui ont pris part à l’appel d’offres ont été invitées à ne pas proposer de blé français comme option d’approvisionnement”, a ajouté l’agence britannique. L’OAIC, l’Office Algérien Interprofessionnel des Céréales, chargé de l’importation des grains, a indiqué que l’Algérie respectait tous “ses fournisseurs”, sans toutefois démentir l’exclusion des entreprises françaises.
Ces sanctions économiques font suite à d’autres mesures prises par l’Algérie en réaction à la position française sur le Sahara occidental. Le 30 juillet dernier, Emmanuel Macron a déclaré, dans une lettre adressée au Roi Mohammed VI, soutenir le plan marocain pour le Sahara occidental, qu'il considère aujourd’hui comme la “seule base” de règlement du conflit. Le président français a également dit considérer que "le présent et l'avenir du Sahara occidental s'inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine".
La réaction d’Alger ne s’est pas fait attendre : elle rappelle son ambassadeur et réduit sa représentation diplomatique à un chargé d'affaires. Trois mois plus tard, Abdelmadjid Tebboune signe un décret mettant fin aux fonctions de son ambassadeur à Paris, Saïd Moussi, immédiatement affecté à Lisbonne, au Portugal. La vacance du poste d’ambassadeur d’Algérie à Paris pourrait ainsi perdurer. Interrogé récemment par un journaliste sur la durée de cette situation, le président Abdelmadjid Tebboune a indiqué ”qu’il faut laisser au temps et aux peuples le choix” de décider du dégel des relations entre les deux pays.
Une colère qui ne retombe pas
Sur le plan politique et diplomatique, la colère de l’Algérie se manifestee par un embargo quasi total imposé à l’ambassade, qui n’a plus aucun contact avec les autorités algériennes. Tous les dossiers de coopération sont gelés, y compris ceux liés à la mémoire, puisque la commission mixte d’historiens, composée de cinq Algériens et de cinq Français, a cessé ses travaux. “La commission ne peut pas être dissociée du climat” des relations entre les deux pays, nous a récemment confié Mohamed-Lahcen Zeghidi, le président du groupe des historiens algériens. Abdelmadjid Tebboune a lui-même annoncé le gel des travaux de cette commission en raison des déclarations de certains responsables politiques français qui, selon lui, “déforment” la réalité de l’Histoire.
De plus, les autorités algériennes ne délivrent presque plus de laissez-passer consulaires, ces documents nécessaires au renvoi dans leur pays des ressortissants algériens en situation irrégulière en France et visés par les OQTF (Obligations de quitter le territoire français). Cette information, rapportée par des médias français, n’a pas été confirmée côté algérien.
Des sources concordantes indiquent que ce refroidissement des relations diplomatiques ne se dissipera pas de sitôt. Les récentes déclarations du nouveau ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau, évoquant un possible recours à des pressions pour pousser l’Algérie à accepter davantage de ressortissants concernés par les OQTF, ne contribuent pas à apaiser la situation.