Par Silvia Chebet
Issoufou Issa est pris entre le marteau et l'enclume. Comme si les ravages du coup d'État dans son pays natal, le Niger, n'étaient pas assez stressants, cet homme de 69 ans a été terrassé par une crise de paludisme.
Il tient un restaurant dans la capitale, Niamey, mais les affaires sont quasiment au point mort depuis les événements du 26 juillet qui ont vu la destitution du président Mohamed Bazoum par des membres de la garde présidentielle.
Les approvisionnements s'amenuisent, l'électricité est sévèrement rationnée et la clientèle s'est raréfiée dans le restaurant d'Issa, comme dans d'autres commerces du même type.
Rien ne vous prépare à un tel bouleversement, mais Issa aurait pu le voir venir.
"Ce n'est pas un problème", explique-t-il à TRT Afrika avec la résignation d'un homme d'âge mûr. "C'est le prix à payer pour un meilleur leadership. Un coup d'État doit se produire si vous n'avez pas de justice et si les ressources du pays sont réservées à quelques familles politiques au lieu d'être partagées avec l'ensemble de la population."
Le pays d'Afrique de l'Ouest semble toutefois divisé. Le lendemain du coup de force contre Bazoum qui a été bloqué par ceux qui étaient censés le garder, ses partisans ont manifesté devant l'assemblée nationale à Niamey, appelant à sa libération immédiate avant d'être dispersés par la police.
"Nous sommes ici pour défendre la démocratie, nous sommes ici pour défendre la république, nous sommes ici pour montrer notre attachement à l'Etat de droit et pour dire non à toute tentative de prise de pouvoir par la force ou par les armes", a déclaré une personne présente dans la foule citée par Reuters.
"Les urnes ont prévalu et le Président Bazoum a été élu pour cinq ans. Le peuple reste digne derrière son Président".
Nouveaux enseignements tirés
Les experts en gouvernance et en résolution de conflits estiment que ce dernier coup d'État au Niger, quatrième pays de la région du Sahel à être pris en charge par l'armée, est inhabituel et complexe.
Le bloc régional, la CEDEAO, a condamné le coup d'État, menaçant même de recourir à la force pour tenter de s'opposer à ce qui semble être un effet domino s'amplifiant à travers le Sahel.
Un décision peut-être un peu prématurée, pour Joseph Ochieno, expert en relations internationales, qui estime que la réponse provocante de la junte nigérienne à la menace constitue une leçon sévère pour les dirigeants de la région dans la gestion d'une crise aussi fluide.
"Je pense que la réaction a été désordonnée, en commençant par l'arme finale, qui consiste essentiellement à menacer de recourir à la violence. Il fallait d'abord chercher à dialoguer avec eux... Maintenant, nous avons des chefs montés au pouvoir à la faveur de coups d'État soutenus par une série d'autres nations - le Mali à l'ouest, le Tchad à l'est et, quelque part en dessous, le Burkina Faso. S'agit-il d'une nouvelle tendance dans le Sahel, peut-être en réponse à certaines des complexités qui s'y trouvent ?
Au-delà des frontières
Certes, la région du Sahel vit une conjoncture lourde de complexités qui vont du terrorisme et la pauvreté à une mélée à peine dissimulée où les pouvoirs étrangers se bousculent pour gagner en influence en Afrique.
"Les pays qui regorgent de richesses naturelles, dont le pétrole, l’or et l’uranium se contentent d’exporter ces ressources sans en faire profiter l’Africain moyen”, fait remarquer Ochieno.
“Quand les juntes militaires évoquent ces problèmes, ils trouvent des oreilles attentives auprès des citoyens lambda. Il n’est donc pas surprenant que ces coups d’Etat sont généralement bien accueillis”
"When the military junta raises these topics, they resonate with the ordinary citizen. So, it's not surprising that these takeovers seem to be received generally well."
Environ 80 % du territoire du Niger se trouve dans le désert du Sahara, mais sous ce terrain impitoyable se trouvent certains des plus grands gisements d'uranium au monde.
Il s'agit d'un minerai de grande valeur et d'un ingrédient clé de l'industrie de l'énergie nucléaire. La France, qui tire la quasi-totalité de son électricité de centrales nucléaires, exploite des mines dans le nord du Niger depuis plus d'un demi-siècle.
"Nous sommes l'un des pays les plus pauvres du monde, mais nous exportons des ressources d'une valeur de plusieurs milliards de dollars. C'est inacceptable", déplore Issa, restaurateur.
Selon les données de 2018 de la plateforme de la Banque mondiale sur la pauvreté et les inégalités, la moitié des 26 millions de Nigériens vivent dans la pauvreté.
Le manque au milieu de l'abondance
Selon Issa, c'est cette dure existence au milieu de la promesse non tenue de l'abondance qui a conduit le Niger dans les fosses de l'instabilité politique.
Avant le dernier coup d'État, il en avait vu quatre autres, dont un en 1999 qui avait vu l'assassinat du président de l'époque, Ibrahim Bare Mainassara.
Dans tous ces cas, rappelle Issa, la préoccupation sous-jacente était la mauvaise gestion des ressources nationales.
"Si nos politiciens apprennent, nous pourrons éviter la récurrence des coups d'État au Niger. Les militaires gèrent toujours mieux que les civils au Niger", soutient Issa.
Une telle confiance dans les hommes en uniforme devrait inquiéter les régimes dits démocratiques, non seulement au Sahel, mais sur tout le continent, selon l'analyste politique Ochieno.
"La réalité d'aujourd'hui est que l'élite politique africaine doit se réveiller. Elle est trop confortablement installée dans son coin", explique-t-il à TRT Afrika.
Corruption et mauvaise gestion
Les politologues soulignent que la corruption et la mauvaise gestion ont freiné le développement dans la plupart des pays africains, des décennies après avoir obtenu l'indépendance.
"Le soi-disant processus de démocratisation qui s'est déroulé au cours des 30 dernières années ne semble pas avoir été bénéfique pour l'Africain moyen. Au contraire, la plupart des dirigeants qui se sont succédé ont fait preuve d'une grande audace en matière de corruption et de renforcement de leurs pouvoirs", juge M. Ochieno.
Pour aggraver les choses, il y a une absence apparente de services évidents comme les soins de santé, l'éducation et les infrastructures, surtout dans le Sahel, ce qui laisse aux personnes, comme Issa, le sentiment que les richesses du pays ne ruissellent pas, mais atterrissent dans les mains d'investisseurs et de puissances étrangères malhonnêtes.
Ochieno, cependant, affirme qu'il est préférable de s'engager avec les gouvernements civils et de veiller à ce que les griefs soient résolus sans impliquer l'armée, dont le travail consiste à défendre les frontières nationales.
Règle civile contre règle militaire
"La question est de savoir si les militaires sont différents des civils qui ont reçu un mandat par le biais d'un scrutin. Ce n'est pas toujours le cas", prévient M. Ochieno.
Sur l'ensemble du continent, plusieurs coups d'État ont été menés avec succès, à l'exception d'une poignée de pays tels que la Zambie, le Malawi, le Botswana, la Tanzanie, le Sénégal et le Cap-Vert. Le dernier coup d'État au Niger est le huitième réussi depuis 2020. Le Tchad, le Soudan, le Mali, le Burkina Faso et la Guinée sont actuellement dirigés par des gouvernements de transition ou des juntes.
En tant que dernier pays du Sahel central à avoir été gouverné par des civils, les derniers développements au Niger ont créé une ceinture de coups d'État à travers le Sahel, qui s'étend de la Guinée sur la côte atlantique de l'Afrique de l'Ouest jusqu'au Soudan sur la côte de la mer Rouge à l'Est.
Cela signifie que des millions d'Africains, y compris Issa, vivent actuellement sous un régime militaire, ce qui constitue matière à réfléchir pour les dirigeants du continent.