Dans le cadre des JO de Paris, la France a mis en place un vaste dispositif sécuritaire, comprenant notamment des mesures de surveillance individuelle. Certaines de ces mesures, bien que décriées, ont été étendues au marché de Noël de Strasbourg.
L'attaque meurtrière à la voiture bélier, survenue vendredi sur un marché de Noël de la ville allemande de Magdebourg, a incité plusieurs pays européens à renforcer
les mesures de sécurité mises en place sur les marchés saisonniers, qui attirent chaque année de grandes foules. En 2023, 3,3 millions de visiteurs ont fréquenté le marché de Noël de Strasbourg, qui dure seulement un mois.
Plusieurs victimes de la mesure Micas
Les avocats et les défenseurs des droits de l'Homme s'inquiètent de voir les mesures de surveillance exceptionnelles mises en place lors des JO de Paris devenir la norme pour d'autres événements. Parmi celles-ci, les Micas (Mesures Individuelles de Contrôle Administratif et de Surveillance) ont été particulièrement controversées.
Lors des JO de Paris, le ministère de l'Intérieur a strictement limité les déplacements de personnes considérées comme représentant une menace sécuritaire sérieuse. Certaines des personnes concernées par ces mesures n'ont toutefois jamais été poursuivies en justice.
Selon un rapport parlementaire publié le 11 décembre, au moins 547 personnes étaient visées par une Micas lors des JO. À Strasbourg, Khaled, un réfugié tchétchène, a témoigné sous pseudonyme après avoir été informé par la police qu'il lui était interdit de quitter la ville en raison d'une Micas mise en place pour les JO.
Bien qu’il n’ait pas contesté la mesure à l'époque, Khaled a saisi le tribunal administratif de Strasbourg lorsque le ministère de l'Intérieur a décidé à la fin du mois d'août de prolonger la mesure en amont du marché de Noël de la capitale alsacienne, visé par un attentat meurtrier en 2018.
Une Micas jugée disproportionnée par les juges
Dans une décision rendue le 3 octobre, les juges ont conclu que la mesure était "disproportionnée", puisque Khaled n'avait pas de casier judiciaire et ne faisait l'objet d'aucune enquête judiciaire. Les juges ont décidé de lever certaines mesures, tout en maintenant l'interdiction de se rendre au marché de Noël de Strasbourg.
La décision de justice intervient toutefois trop tard pour que Khaled, âgé de 20 ans, puisse s'inscrire en licence dans un établissement d'enseignement supérieur où il devait suivre un cours en cyber-sécurité, selon des documents présentés par son avocate.
"J'ai perdu mon école. J'ai perdu l'année quoi", a déclaré Khaled à Reuters, préférant rester anonyme par crainte d’impacter ses projets futurs si la mesure de surveillance le concernant venait à être connue publiquement.
Utilisation abusive
Reuters a pu identifier au moins 12 affaires similaires en s'appuyant sur des documents juridiques et des entretiens avec des avocats et l'une des personnes concernées par une de ces mesures.
Au moins dix des personnes concernées n'avaient jamais été condamnées pour des actes terroristes, bien que l'une d'entre elles se soit déjà vu interdire l'accès au marché de Noël de Strasbourg par le passé.
"Les JO ont été la foire aux Micas, et donc maintenant, j'ai l'impression que du côté du ministère de l'Intérieur, ils sont un peu débridés sur tout événement qui attire des centaines de milliers [de personnes]", observe David Poinsignon, avocat qui représentant quatre autres personnes affectées par une Micas lors des Jeux olympiques.
David Poinsignon s'inquiète particulièrement de l’usage des Micas contre des personnes n'ayant jamais été condamnées pour des actes liés au terrorisme. "Cela devient presque un instrument de justice prédictive", estime-t-il.
Certaines personnes peuvent ainsi être visées par une Micas simplement parce qu'elles connaissent quelqu'un ayant été condamné pour des actes terroristes, ou parce qu'elles ont fait des commentaires sur la guerre dans la bande de Gaza, des opinions jugées comme "apologie du terrorisme" par les autorités, sans même avoir de casier judiciaire, explique Nicolas Klausser, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
Un appel à utiliser les Micas avec parcimonie
La préfecture du Bas-Rhin a émis seulement sept Micas au total, tous motifs compris, sur une période de 12 mois au cours des cinq années suivant l'entrée en vigueur de la loi SILT, renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme adoptée en novembre 2017, selon le ministère de l'Intérieur.
Ben Saul, rapporteur spécial de l’ONU sur la lutte contre le terrorisme et les droits de l’homme, estime que la France devrait utiliser les ordonnances Micas avec parcimonie, "pour adresser un risque terroriste crédible, lorsque des moyens moins intrusifs ne seraient pas suffisants".
"Étant donné qu'elles peuvent être imposées sans les solides garanties d'un procès équitable d'un procès pénal, le risque d'abus, d'arbitraire ou de discrimination est plus élevé", souligne-t-il.
Une augmentation des procédures judiciaires
Les autorités font face à de nombreuses procédures judiciaires contre l’utilisation des Micas.
Ainsi, au moins 53 ordonnances liées aux Jeux olympiques et aux marchés de Noël cette année ont été suspendues par les tribunaux, "souvent pour insuffisance de caractérisation de la menace ou du contenu des notes de renseignement", selon un rapport parlementaire.
Au moins trois procédures en appel ont abouti en faveur des plaignants contre des mesures de surveillance prononcées en lien avec le marché de Noël, selon des documents du tribunal de Strasbourg.