Ce déclin, bien que partiellement compensé par un excédent commercial agricole de 8 milliards d’euros en 2021, ne reflète en réalité qu’une hausse des prix sur les marchés internationaux, tandis que les volumes exportés diminuent.
Hausse des importations
Paradoxalement, la France, qui reste un des principaux producteurs agricoles en Europe, se voit de plus en plus dépendante des importations. Les chiffres de l’Insee sont alarmants.
En 2021, les importations alimentaires ont atteint près de 63 milliards d'euros, soit un chiffre 2,2 fois plus élevé qu'en 2000. Malgré la stabilité relative de la production agricole, estimée à 81,6 milliards d’euros en 2021, de nombreux secteurs sont de plus en plus dominés par des produits étrangers.
Par exemple, près de la moitié du poulet consommé en France provient de l’étranger, tout comme plus de la moitié de la viande ovine et une grande majorité des fruits.
Les coûts de production en France sont de plus en plus difficiles à supporter pour les agriculteurs, notamment en raison de la pression fiscale élevée.
En outre, la taille des exploitations françaises, souvent plus petites que celles de ses concurrents européens ou mondiaux, constitue un autre frein à la compétitivité. Ces petites exploitations peinent à rivaliser avec des unités de production plus grandes et industrialisées à l’étranger, notamment dans des pays comme les États-Unis, le Brésil ou l’Argentine.
Disparition des exploitations agricoles
Depuis la seconde moitié du XXe siècle, l'agriculture en France a connu une transformation radicale, perdant plus de 2 millions d'exploitations en 50 ans. En 2020, il ne restait plus que 400 000 exploitations agricoles.
Alors que l'agriculture occupait plus de 30 % de la population active avant la Seconde Guerre mondiale, ce chiffre est tombé à seulement 1,5 % aujourd'hui.
Comment expliquer cette baisse du nombre des exploitations agricoles ?
Industrialisation de l’agriculture
Dans les années 1950, la France, en pleine reconstruction après la guerre, avait un besoin urgent d'augmenter la production agricole. Ce contexte a favorisé l'émergence d’un modèle agricole productiviste, porté par la politique agricole commune (PAC) mise en place en 1962.
Cette politique visait à garantir l'autosuffisance alimentaire de l'Union européenne, en augmentant les rendements et en réduisant les coûts de production.
Pour ce faire, l’agriculture a subi une industrialisation de grande ampleur. Les tracteurs sont devenus plus grands et plus performants, et l’utilisation des engrais et pesticides a explosé.
Ces changements ont permis une hausse spectaculaire des rendements, mais ont aussi conduit à une concentration des exploitations. La taille moyenne des exploitations a ainsi considérablement augmenté, atteignant 68 hectares en 2020 contre 10 hectares en 1955.
Cette industrialisation de l’agriculture a permis une hausse significative de la production agricole, qui a triplé en cinquante ans. Cependant, cette amélioration des rendements ne s’est pas traduite par une rémunération équitable pour tous les agriculteurs.
Si certaines exploitations, notamment céréalières ou viticoles, bénéficient d’une forte rentabilité, d’autres, comme celles de l’élevage, sont souvent confrontées à une pression économique croissante.
L’agriculture est entrée dans un partenariat commercial avec l’industrie agro-alimentaire et les prix des produits agricoles sont désormais influencés par les multinationales de l'agroalimentaire et la grande distribution, ce qui entraîne des marges de profit de plus en plus faibles pour de nombreux agriculteurs.
Les écarts de revenu sont frappants. En 2018, les revenus des ménages agricoles dans les territoires viticoles étaient 1,9 fois supérieurs à ceux des zones d’élevage bovin.
Les céréaliers, souvent considérés comme les grands gagnants de ce système, bénéficient de revenus bien plus élevés que les éleveurs, dont la rentabilité est mise à mal par la volatilité des prix du marché et l'impact des grandes surfaces.
La transition écologique
D’un côté, la concentration aux mains des multinationales a permis des rendements inégalés. Mais de l’autre, elle a causé des dégâts environnementaux majuers, notamment la dégradation des sols et la perte de biodiversité.
Face à ces enjeux, la transition vers une agriculture plus durable, comme l’agriculture biologique, est devenue une priorité. Cependant, cette transition est semée d’embûches : elle nécessite des investissements importants, et la rentabilité n’est pas toujours garantie.
Bien que le nombre d'exploitations biologiques ait augmenté, il reste faible par rapport à l'agriculture conventionnelle.
En 2024, certaines régions, comme le Centre-Val de Loire, ont même enregistré une régression de l’agriculture biologique, en raison de la baisse de la demande. Les coûts plus élevés, le manque de soutien et l'incertitude quant à la rentabilité expliquent en partie cette lente adoption du bio.
Colère agricole
Un rapport sénatorial dénonçant cette lente érosion de l’agriculture française propose plusieurs pistes de réflexion.
Il recommande notamment de réduire les coûts de production, de favoriser la production locale contre la mainmise des multinationales, d’améliorer la compétitivité des exploitations par une modernisation de la taille et des techniques agricoles, et d’alléger la fiscalité qui pèse sur le secteur.
La colère des agriculteurs, marquée par des manifestations spectaculaires qui ne cessent de se multiplier, est un des signes inquiétants du déclin qui pèse sur l’agriculture française.
Entre survie économique, pression environnementale et enjeux sociaux, ces travailleurs de la terre portent un lourd fardeau, conséquence de stratégies économiques erronées et de l’avidité insatiable des multinationales.