Autrefois carrefours des civilisations, les détroits turcs étaient aussi des points de litiges, suscitant la convoitise des grandes puissances. Que sait-on de ces artères vitales de l’économie mondiale ?
Un passage maritime, mais pas comme les autres, reliant la mer Noire, le Bosphore, la mer de Marmara et les Dardanelles : deux mers et deux détroits qui confèrent à la Turquie un emplacement stratégique des plus enviés.
Des guerres épiques ont hanté l’histoire des populations de ces rivages concomitants qui, au niveau d’Istanbul ou de Çanakkale, se réduisent à un goulot de quelques kilomètres de largeur. C’est d’ailleurs le long de ces détroits que se sont déroulées les batailles les plus féroces qu’avait connues la péninsule anatolienne entourée de trois mers, au summum de la Première Guerre mondiale.
L’offensive militaire russe en Ukraine a ressuscité l’intérêt international pour ces points de transit dont le blocage avait accéléré alors l’effondrement de l’empire tsariste.
Tentatives de neutralisation
L’expert en stratégie militaire Deniz Kutluk explique les desseins des alliés durant la Première Guerre mondiale : « Les tactiques des alliés consistaient à s’emparer rapidement du Bosphore et, de la sorte, imposer leur contrôle sur Istanbul et maintenir les Ottomans en dehors du conflit. D’où l’idée de prendre d’assaut le détroit par une flotte de 102 unités navales, évitant ainsi toute offensive terrestre. La nation turque avait fait preuve d’endurance héroïque le 18 mars 1915, lors la bataille navale de Çanakkale. »
Sortie victorieuse de la guerre d’indépendance, la Turquie a pu sauvegarder la quasi-totalité de son intégrité territoriale en vertu du Traité de Lausanne, conclu le 24 juillet 1923.
Toutefois, ce document a restreint ses droits souverains, comme l’explique Furkan Kaya, professeur de Sciences politiques et de Relations internationales à l’Université Yeditepe : « Le Traité de Lausanne a imposé la création d’une zone exempte d’armes d’une profondeur de 30 kilomètres et confié l’administration des détroits à une commission internationale, alors que la Turquie – devenue incapable de faire valoir ses droits – était acculée à appliquer ses règles. » La question de la défense de cette zone est restée suspendue jusqu’en 1936.
La Convention de Montreux
Treize ans après, la Convention concernant le régime des détroits fut signée le 20 juillet 1936 à Montreux, en Suisse, abrogeant ainsi la mainmise de la Commission internationale et restituant la souveraineté turque sur ses passages maritimes. Cette convention a été mise à l’épreuve pour la première fois au temps de la Seconde Guerre mondiale, alors qu’Ankara a démontré son engagement à respecter ses termes.
« Les circonstances actuelles que connait la région ont rendu possible, pour la première fois, l’application de l’Article 19 de la Convention concernant le détroit du Bosphore, dont l’accès a été refusé aux navires de guerre des parties de la guerre en Ukraine », souligne Dr. Kutluk.
« Le droit de passage dans les détroits en temps de guerre est régi par trois clauses, selon la position de la Turquie vis-à-vis du conflit : partie prenante, neutre ou pays menacé. Ces clauses gèrent en fait le droit de passage dans les trois cas, mais aussi celui des navires des pays riverains de la mer Noire, suivant des règles concernant le nombre, la fréquence d’accès, la durée de séjour ainsi que les dimensions et tonnages, ce qui a contribué à prémunir les pays riverains contre les tensions en provenance de l’extérieur », explique-t-il.