Interpellé dimanche 5 janvier, il avait été expulsé par la France. Or, l’Algérie l'a renvoyé, jeudi soir, dans un retentissant pied de nez à Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur déclarant que "l’Algérie cherche à humilier la France". En déplacement à Nantes, Retailleau a averti que "tous les moyens devaient être évalués" pour créer un bras de fer. Évoquant la question des taxes sur les tarifs douaniers ou le levier des visas avec l’accord de 1968, l’exécutif français réfléchit à des mesures face à l’Algérie qui refuse de reprendre Doulemn, pourtant doté d’un passeport biométrique algérien. Dans un communiqué officiel publié samedi, Alger a dénoncé les calomnies et "la désinformation" menées par l’extrême droite, selon elle.
Lundi, Gérald Darmanin, ministre de la Justice propose, lui, de "supprimer" le visa spécifique destiné à "la nomenklatura algérienne". Créé en 2013, "cet accord gouvernemental, permet à ceux qui ont un passeport officiel, un passeport diplomatique algérien –il y en a des milliers– [de venir] en France sans visa pour pouvoir circuler librement", a-t-il rappelé.
Une inflammation qui ressemble d’ores et déjà à une rupture diplomatique qui ne dit pas son nom et qui complexifie encore plus la relation entre les 2 États.
Comprendre la relation entre la France et l’Algérie n’est pas une mince affaire. Entre l’arrestation des influenceurs algériens sous OQTF pour "apologie du terrorisme" et "incitation à la haine" et les mots d’Emmanuel Macron contre Alger, les liens entre les deux pays historiquement proches se détériorent à grande vitesse. Pour comprendre la situation, impossible de passer les grands sujets à la trappe. Conquête coloniale, code de l’Indigénat, Guerre d’Algérie, immigration et accord de 1968, essais nucléaires dans le Sahara…La liste loin d’être exhaustive livre des clés de compréhension.
Énième rebondissement ou rupture d’une relation singulière ? Depuis l’arrestation à Alger de Boualem Sansal, écrivain franco-algérien, la crise entre Paris et Alger serait à son paroxysme. La France reprochant à l’Algérie l’emprisonnement injustifié d’un écrivain dont les livres, distribués dans ce pays, sont régulièrement encensés par le microcosme intellectuel parisien pour leur dénonciation de l’islamisme et du pouvoir algérien.
Nouveau spasme dans cette crise décidément bien enracinée ? Lundi 6 janvier, à l’occasion de la réunion des ambassadeurs à l’Élysée, Emmanuel Macron, président de la république française, a eu des mots directs à l’encontre de l’Algérie, "que nous aimons tant" et qui "entre dans une histoire qui la déshonore, à empêcher un homme gravement malade de se soigner". La réaction d’Alger ne s’est pas fait attendre. Le bureau de l’APN, l’Assemblée populaire nationale, a pointé "l’irresponsabilité" d’Emmanuel Macron dans un communiqué tout en dénonçant "d’odieuses ingérences dans les affaires intérieures et une atteinte à sa souveraineté et à sa dignité au sujet d’une affaire en cours d’examen conformément aux lois algériennes".
Si du côté français, la saillie de Macron a engrangé de nombreux soutiens de l’extrême droite à une partie de la gauche, en Algérie, l’ensemble des partis et des figures médiatiques s’indignent des mots employés par le président français. Le FFS (Front des forces socialistes) a qualifié ces propos "d’écœurants" et "inacceptables" rejetant "des leçons de morale ou d’humanité de la part d’un gouvernement qui soutient le génocide en cours à Gaza. La France de Macron a tourné le dos aux idéaux qu’elle prétendait défendre et s’est disqualifiée en tant que porteuse de valeurs universelles". Le Mouvement pour la société et la paix a fustigé "l’arrogance liée à la mentalité coloniale, loin du respect de la souveraineté et de la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats". De son côté, Khaled Drareni, journaliste figure clé du Hirak en 2019, condamné pour "incitation à attroupement non armé" et "atteinte à la sûreté de l’unité", a, également, exprimé sa désapprobation dans un message posté sur X et adressé à Emmanuel Macron, lundi 6 janvier : "M. le président, on ne met jamais "Algérie" et "déshonneur" dans la même phrase".
Une anicroche de plus dans le long chemin de la "réconciliation" tant promise par le jeune président Macron lors de son arrivée à l’Élysée en 2017. En réalité, cet incident s’inscrit dans une perspective plus profonde, celle de deux pays liés par une histoire accidentée et loin d’être résolue. Pour comprendre la situation et ces altercations à répétition –qui n’ont pas empêché les relations commerciales en hausse de 5,3% en 2023 avec près de 12 milliards d’échanges entre les deux pays- il faut prendre un peu de hauteur.
Si les autorités algériennes sont souvent accusées d’instrumentaliser la Guerre d’Algérie, que penser du rapport de l'État français à son passé colonial, à ses responsabilités. Souvent brandies dans les médias, la question des excuses serait, selon les observateurs, un levier de chantage exercé par Alger pour accabler l’ancien empire, faire en sorte qu’il cède à ses caprices. Or, Abdelmadjid Tebboune, dans son discours à la nation algérienne le 29 décembre 2024, a rappelé qu’aucune excuse n’était attendue, pas plus "qu’une compensation financière". Et d’ajouter : "l’Algérie attend une reconnaissance morale" de la France pour ses crimes lors du colonialisme.
Une déclaration qui balaie, donc, "la question des excuses" présentée comme rengaine habituelle des ordonnateurs de "la rente mémorielle", formule soufflée par E. Macron lui-même à l’Elysée le 29 septembre 2021. Au cours d’un déjeuner réunissant des descendants de la Guerre d’Algérie, il avait affirmé que "la nation algérienne s’était construite” sur justement cette fameuse manne "mémorielle". Alger avait exigé le "respect" avant d’interdire le survol de son ciel par les avions français impliquée dans l’opération Barkhane, au Sahel. Au-delà de ce "off" capté par un journaliste du Monde, le moment renvoyait, à ceux qui en doutaient, la façon dont la France instrumentalise aussi cette histoire. D’abord en se concentrant, exclusivement sur les huit ans de la Guerre d’Algérie. Habile posture pour éclipser les 132 ans de présence française, synonyme d’oppression et de violence coloniales françaises. Ensuite, pour s’absoudre de ses trahisons républicaines. La France, en Algérie, a piétiné les idéaux de 1789, démontré que la République malgré sa formidable modernité, portait en son sein des ressorts de violence, d’injustice et de racisme. Une réalité que le cœur de la matrice médiatique et politique française refuse de voir dans son ensemble.
Les excuses ne concernent, donc, pas l’Algérie. Les excuses, c’est la République qui les doit à elle-même. Or, elles n’arrivent pas. Un manquement qui explique l’omniprésence de l’objet Algérie dans le débat français. Sa centralité même. Et qui explique la réaction d’Alger au soutien de Macron apporté au Maroc sur la question du Sahara occidental. Dans une lettre adressée à Mohammed VI et rendue publique, le 30 juillet, E. Macon a reconnu comme "seule base pour aboutir à une solution politique juste, durable et négociée conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies", le plan présenté par le Maroc. Question existentielle pour Rabat, la zone partage une quarantaine de kilomètres avec l’Algérie qui goûte peu à l’idée de voir se multiplier sur ses frontières des conflits armés. Au-delà de la question frontalière, sujet brûlant pour un pays qui a arraché son indépendance à l’empire colonial français, la question du droit international reste prégnante et explique la position d’Alger jugée "opportuniste" par certains.
Après Gaza et le génocide documenté par la Cour pénal internationale et dont la France pourrait avoir à rendre des comptes du fait de ses ventes d’armes, l’Algérie tempête à longueur de temps son attachement au droit international. Le choix de Macron de s’allier au Maroc n’étonne, donc, guère en haute sphère. "C’est une posture pragmatique et stratégique. L’Algérie sera toujours cette épine dans le pied des Français. Avec le Maroc, le passif n’est pas aussi lourd…", ajoute-t-il. "Macron est allé au plus simple et puis l’Algérie avec cette affaire Sansal, par exemple, montre qu’elle est totalement affranchie, décomplexée par rapport à la France".
L’Algérie est le miroir, aussi imparfait soit-il, des fautes françaises. Et si sa diaspora, "hirakiste" en majorité, aussi diverse qu’elle est, ne cesse d’en vanter les potentialités, du côté de l’élite française, l’Algérie est le petit musée de ses propres horreurs, celles qu’elle aurait voulu mettre sous le tapis, faire disparaître même. Mais en Histoire, les faits sont têtus. L’Algérie est ce qu’elle est. La France est ce qu’elle a fait.