Yasmeen El Raimi, tireuse olympique yéménite et seule femme de sa délégation, a été invitée à représenter son pays aux JO de Paris dans l’épreuve de tir à air comprimé (TRT Français/ AFP) (Others)

C’est accompagnée d’une autre tireuse yéménite, Amal Modhesh, faisant office d’entraîneuse que Yasmeen Al Raimi se déplace dans la ville de Châteauroux qui accueille les épreuves de tir des Jeux olympiques 2024 de Paris. De loin, leurs hauts de survêtements rouges laissent apparaître le nom de la nation qu’elles représentent, en lettres capitales blanches. “Yémen, vous avez gagné ou vous avez perdu ?”, les interroge l’agent de sécurité alors qu’elles quittent le lycée Blaise Pascal, transformé en village olympique. “Merci, mon Dieu, nous sommes vivantes et nous sommes arrivées jusqu’ici”, lui lance l’entraîneuse.

“Jusqu’au dernier moment, je ne savais pas si j’allais participer aux JO de Paris”

Déchiré par la guerre, aggravée par une corruption endémique, le contexte sécuritaire et politique du Yémen laisse peu de place à la préparation physique et mentale de Yasmeen Al Raimi avant d’embarquer dans sa deuxième aventure olympique.

“Depuis le début de la guerre, j'ai rencontré des difficultés au Yémen pour pratiquer le sport et continuer à m'entraîner. Nous n’avons pas de salle de tir au Yémen. Nous avons une pénurie d’équipements de tir et d’entraîneurs”, déplore la tireuse olympique.

“Je devais souvent m'entraîner avec des cibles en papier que je changeais moi-même. J’avais des difficultés à trouver un endroit où m’entraîner. Je trouvais parfois une salle, je m’y entraînais puis, elle était bombardée et je ne pouvais plus l’utiliser. [...] Les femmes ont été plus touchées que les hommes parce qu’on a plus de difficultés à trouver une salle avec des créneaux pour s’entraîner”, poursuit-elle.

Recevant une wild card pour participer aux Jeux olympiques de Paris 2024, la native de Sanaa, qui installe son stand de tir dans des salles de réunion afin de continuer à s’entraîner, s’organise tant bien que mal pour son camp d’entraînement prévu en Tunisie. En raison de complications liées au visa, elle est contrainte de se tourner vers le Caire pour rejoindre la fédération égyptienne de tir. Mais cette fois, c’est son arme qui n’obtient pas l’autorisation d’entrée sur le territoire.

“Je ne suis pas comme les autres athlètes qui obtiennent un visa et entrent. Il me faut un visa pour moi et un visa pour mon arme”, explique-t-elle. Bloquée au Caire, mais sans son arme retenue à l’aéroport, elle se démène en vain pour pouvoir la récupérer, perdant ainsi un mois d’entraînement. “J’ai arrêté l’entraînement un mois entier où je n’ai pas touché l’arme avant les JO”, se désole Yasmeen Al Raimi.

Abnégation, patience et travail

Son arme, c’est seulement en France qu’elle a pu la récupérer à deux jours de son épreuve de tir à air comprimé sur une distance de 10 mètres. “J’ai pleuré à cause de toute cette pression. Malgré toutes les difficultés que j’ai eues avant d’arriver, j’ai tout oublié. Je me suis dit que je ne laisserai pas tout cela affecter mon mental ou mon entraînement. Je suis entrée dans la compétition avec seulement deux jours de préparation, mais avec beaucoup de détermination”, confie la tireuse privée d’entraînement intensif un mois avant la plus grande compétition internationale.

L’enthousiasme et la résilience de cette athlète au teint hâlé et aux yeux brillants ne datent pas d’aujourd’hui. Déjà, en 2016, à Sanaa, les conditions pour s’entraîner deviennent “quasi inexistantes” et la contraignent à suspendre sa carrière sportive. “De 2010 à 2016, l'entraînement et la participation extérieure étaient plus faciles. Nous pouvions participer en équipes complètes, mais à partir de 2016, en raison de la guerre, nous avons arrêté l'entraînement et la participation extérieure jusqu'en 2020”, décrit-elle.

Yasmeen Al Raimi, qui a troqué en 2010 son kimono de taekwondo pour un pistolet à air comprimé, à la recherche d’une “discipline rare et unique”, a un parcours tout aussi singulier. “Je suis passée au tir dès que j’ai découvert la discipline. Lors de mon premier championnat, j'ai remporté une médaille d'or et mon amour a commencé à grandir pour le sport. À chaque compétition, je continuais à gagner des médailles d'or et ma passion grandissait. J'ai commencé à m’y consacrer entièrement et à participer à des compétitions à l’étranger, à des compétitions arabes et mondiales. [...] Représenter le Yémen, en tant que femme, c'est une énorme responsabilité. J’ai fait en sorte d'honorer le Yémen”, se remémore-t-elle, sourire au coin.

Quatre ans plus tard, le Yémen s'enlise dans une guerre civile sans fin, mais qui n’empêchera pas la tireuse yéménite de passer des heures devant son stand de tir de fortune, avant de suspendre sa carrière en 2016. En 2020, elle reprend l’entraînement et participe à un championnat international au Koweït, puis au championnat arabe du Caire où elle remporte la médaille d’argent. De là, la compétition olympique s’offre à elle, d’abord à Tokyo en 2020, puis à Paris en 2024. Mais les moyens ne sont pas au rendez-vous.

“La seule chose que je possède, c’est une arme et une cible mobile.”

Dans le pays de la péninsule arabique actuellement classé 183ème sur 191 à l’indice de développement humain, Yasmeen Al Raimi a le goût de la compétition. “Je m’entraîne avec les moyens du bord et la seule chose que je possède, c’est une arme et une cible mobile”, regrette-t-elle. Et bien qu’elle ait été privée d’entraînement, elle concourt aux JO de Paris “afin de représenter le Yémen de la meilleure manière. Contrairement aux pays voisins où les stades et salles futuristes pullulent, le Yémen “dispose de moyens insuffisants par rapport aux autres pays”.

Arrivée 40ème sur 45, la tireuse yéménite se dit “satisfaite de [sa] performance et fière d'avoir représenté le Yémen. Mais au lendemain de son épreuve, ce n’est pas avec autant d’ardeur que ses résultats sont accueillis par le public yéménite qui lui “ont reproché de ne pas avoir été sur le podium, de ne pas avoir honoré le Yémen”.

“Le public n’a aucune idée des obstacles et des difficultés que j’ai rencontrés. Même la délégation qui est avec moi n’a pas vécu ce que j’ai vécu. [...] Je ne participe pas à Paris pour rivaliser avec les champions du monde qui ont les moyens techniques et financiers, les entraîneurs, les armes, les psychologues. Moi, je n’ai rien de cela”, raconte-t-elle.

Armée de sa résilience, Yasmeen Al Raimi qui conseille à tout athlète yéménite de “ne pas renoncer à réaliser ses rêves”, maintient son objectif en ligne de mire : participer aux prochains Jeux olympiques de 2028 “avec les moyens dont disposent tous les athlètes arabes ou internationaux” afin de pouvoir “rivaliser avec eux [avec] tous les moyens et une préparation suffisante et complète à tous les niveaux”.

TRT Francais