Enfin des négociations ! C’est le cri du RPPRAC, mouvement créé en juillet dernier et à l’origine des manifestations contre la vie chère. “C’est une bataille remportée, les débats vont même être diffusés en direct”, insiste Aude Goussard, sa secrétaire générale.
Hier mercredi, la Collectivité territoriale de Martinique a fait un geste ; elle a annoncé supprimer l’octroi de mer sur 54 familles de biens importés. Cela va des couches pour bébé aux conserves.
Aude Goussard lève les yeux au ciel. Elle qui est sur tous les fronts depuis un mois de manifestations pour pointer du doigt les prix pratiqués sur l’île, estime que ce geste n’est que de la poudre aux yeux, d’autant qu’il va juste durer 36 mois.
La militante est présente aux négociations qui commencent lundi avec la grande distribution et les collectivités territoriales de Martinique. La demande de son collectif, le RPPRAC, est simple : l’alignement des prix sur ceux de la France, ni plus ni moins, en Martinique, en Guadeloupe, à Mayotte, à la Réunion et en Guyane.
Selon une étude de l’INSEE de 2022, les prix sont 40% plus élevés qu’en métropole en Martinique et 27% de la population de cette île qui compte 350 000 habitants sont en situation de pauvreté. Béatrice Bellay, nouvelle députée socialiste de Fort-de-France s’est exprimée dans plusieurs médias français. Elle insiste également sur un “coût de la vie insoutenable, une violence sociale et institutionnelle dont souffrent les Martiniquais”.
La taxe d’octroi de mer critiquée mais est-ce le problème ?
La taxe est appliquée sur les biens non produits en Outre-mer et doit couvrir les frais de transports et de distribution. Ses revenus financent les communes et collectivités locales des Outre-mer, dont leur budget de fonctionnement. La Cour des comptes française a épinglé ce système en mars dernier.
Selon l’organisme, la taxe d’octroi de mer n’est pas assez utilisée pour financer des investissements par les collectivités. Plus encore, elle qui devait protéger l'économie locale est plutôt un frein à l’économie de l’île puisque les produits disponibles sur le marché sont beaucoup plus chers qu’ailleurs. Cela fait peur aux investisseurs.
Pour le RPPRAC, l’octroi de mer n’est pas l’objectif principal. Il demande son abandon pour obliger les collectivités et les élus martiniquais qui vont perdre de l’argent à faire pression sur la grande distribution. Pour le mouvement, le vrai problème, c’est le monopole de la grande distribution aux mains de quelques familles. “On ne connaît pas les marges des distributeurs, ils ne publient pas leurs comptes. Ils préfèrent payer des amendes que de publier leurs comptes”, assure Aude Goussard.
Le RPPRAC dénonce un “pacte colonial”
La secrétaire générale du collectif dénonce un système colonial. “La métropole protège son économie en utilisant un marché captif. C’est un système oligopolistique, il n’y a pas de concurrence”. Trois grands groupes se partagent en effet le marché et les franchises de la grande distribution : GBH (Groupe Bernard Hayot), Parfait et Despointes. Le Groupe Bernard Hayot contrôle même certaines chaînes de bout en bout de la sortie de l’usine aux étals martiniquais et représente 40% de l’économie de l’île.
Sur RCF, Olivier Sudrien, l'économiste spécialiste des Outre-mer au cabinet DME explique les effets d’un oligopole : lorsqu’il y a peu d'acteurs, les opérateurs organisent les prix en fonction de leurs coûts, mais aussi en fonction de la disposition à payer des clients. Ils ont intérêt à monter les prix au niveau le plus élevé possible, tant que des clients achètent les produits.
Dans les interviews, on peut lire nombre de Martiniquais rappeler à l’envi que ces familles sont des descendants de Békés, les colons français qui ont occupé l’île. C’est une réalité, les descendants de colons français contrôlent toujours la part belle de l’économie de la Martinique.
Certains essayent de trouver des parades mais elles sont quasi-impossibles. Il n’est pas question de faire venir des Etats-Unis toutes proches les mêmes produits qui y sont moins chers, se plaint Aude Goussard. La réglementation européenne entre en jeu, les normes de production américaines étant moins strictes, il n’est pas possible de faire entrer et vendre aux Caraïbes des produits made in USA.
lire aussi: Martinique: le couvre-feu maintenu jusqu'à jeudi
Le ministre français de l’Outre-mer doit s’impliquer
La secrétaire générale du RPPRAC donne l’exemple de la chaîne de restaurant de burgers “Snack Elisé” qui a essayé d’acheter des hamburgers aux Etats-Unis car ils sont beaucoup moins chers. Résultat des courses : ils ont été bloqués sur le port et ont été “perdus” !
Les syndicats de chauffeurs poids-lourds ont rejoint le mouvement de contestation mardi dernier, avec des opérations escargots. Selon eux, quand une pièce mécanique doit être changée, il est moins cher de voyager en France pour aller la chercher que de l’acheter sur place. Les manifestants parlent d’entente anticoncurrentielle et d’entente sur les prix.
Les Martiniquais attendent aujourd’hui que l’Etat français s’implique, que l’Observatoire des prix ait plus de moyens et que la grande distribution affiche ses marges. C’est en modifiant ces marges que la baisse des prix peut être réalisée, insiste Aude Goussard. Le RPPRAC espère bien que le nouveau ministre de l’Outre-mer, François-Noël Buffet, va venir à la table des négociations en Martinique.
Le mouvement contre la vie chère met en garde les autorités françaises : le problème est le même dans les autres départements et territoires d’Outre-mer et l’exemple martiniquais pourrait faire tache d’huile. Des émeutes ont déjà eu lieu en Guadeloupe toute proche.