Au lendemain des manifestations de protestation contre l’ajournement de la présidentielle du 25 février au 15 décembre prochain, un calme apparent règne à Dakar et sur l’ensemble du pays, d’après des témoins contactés sur place.
Vendredi, la tension est subitement montée, lorsque des manifestants et les forces de maintien de l’ordre se sont affrontés dans certaines rues de Dakar et dans les principales villes du pays.
La police et la gendarmerie ont violemment réprimé les manifestations dans la capitale et les principales villes du Sénégal comme Saint-Louis, dans le nord du Sénégal, où un étudiant en deuxième année de licence de géographie, Alpha Yoro Tounkara, a été tué, a rapporté l’AFP.
"Il était non seulement un brillant étudiant, mais aussi un camarade aimé et respecté. Sa présence chaleureuse et son enthousiasme contagieux manqueront à tous ceux qui ont eu la chance de le connaître", écrit Cheikh Ahmadou Bamba Diouf, président du club de géographie de l'université Gaston Berger, où le jeune homme étudiait.
Sa mort a été confirmée à l'AFP par un employé de l'hôpital régional. Aucun bilan n'a, pour l'heure, été communiqué par les autorités.
À Dakar, la police a fait un usage abondant de gaz lacrymogènes pour disperser les centaines de personnes qui cherchaient à se rassembler aux abords de la place de la Nation au cours d'une journée test sur le rapport de force entre le pouvoir, la société civile et l'opposition, a indiqué l’AFP.
Cette mobilisation sur tout le territoire sénégalais est la première contestation d'ampleur depuis le report du scrutin présidentiel initialement prévu le 25 février, qui a ouvert une grave crise politique au Sénégal et plongé le pays dans une période d'incertitude.
Dans la capitale, l'autoroute et des axes importants ont été bloqués. Dans la nuit, des véhicules blindés ont même été aperçus sur l’autoroute à péage menant à l’aéroport.
- Journalistes ciblés -
Reporters sans Frontières s’est "indignée" dans un message sur X du ciblage d’au moins cinq journalistes par les policiers lors des manifestations à Dakar. Une journaliste du site Seneweb a été brutalement interpellée et a été hospitalisée suite à un malaise, selon l'ONG.
Un autre journaliste du journal Enquête a été frappé à la mâchoire et des gaz lacrymogènes ont notamment visé le siège de la télévision privée Walf TV, dont la licence a récemment été retirée par les autorités.
À la mosquée Masjidounnour de Dakar, pour la grande prière musulmane du vendredi, l'imam Ahmed Dame Ndiaye s'est insurgé contre la situation politique.
"Même le président peut faire des erreurs et dans ce cas, c'est à nous de lui dire la vérité", a-t-il estimé, ajoutant que "personne n'a le droit de regarder la société en train d'être détruite".
Dans la matinée, les professeurs ont donné le ton avec des débrayages dans les écoles. Au lycée Blaise Diagne de Dakar, des centaines d'étudiants ont quitté leurs cours à 10h, à l'instar de Seynabou Ba, 18 ans, qui dit "ne plus avoir d'espoir" pour la démocratie dans son pays.
"C'est juste le début d'un combat. Si le gouvernement s'entête, nous serons obligés de mener d'autres actions", a déclaré Assane Sene, un professeur d'histoire-géographie syndiqué de cet établissement.
Pour éviter des actes de vandalisme, certains commerces, banques et compagnies ferment un peu plus tôt que d’habitude.
“Notre structure observe encore la situation et n’écarte pas l’éventualité de nous donner des vacances dans nos pays respectifs si la situation empirait” a confié à TRT Français un cadre expatrié d’un centre de recherche international basé à Dakar.
- "Coup d'État constitutionnel" -
Le report de la présidentielle de 10 mois a soulevé une indignation largement partagée sur les réseaux sociaux. L'opposition crie au "coup d'État constitutionnel". Elle soupçonne une manigance pour éviter la défaite du candidat du camp présidentiel, voire, pour maintenir le président Sall à la tête du pays encore plusieurs années.
Un collectif de 14 candidats de l'opposition a déposé dans l'après-midi de vendredi, un recours devant la Cour suprême.
Les tentatives de manifestations depuis l'annonce du report ont été réprimées et des dizaines de personnes interpellées, alors que les diverses contestations politiques ont fait des dizaines de morts depuis 2021.
Le président Sall a décrété samedi dernier le report de la présidentielle, trois semaines seulement avant l'échéance, en pleine bagarre politique sur les candidatures retenues ou écartées pour le scrutin.
L'Assemblée nationale a approuvé lundi un ajournement au 15 décembre, avec les voix du camp présidentiel et des partisans d'un candidat recalé et sous la protection des gendarmes.