Après des mois de tension et d’incertitude, les Sénégalais se rendent aux urnes dimanche 24 mars 2024 pour élire parmi 17 candidats leur 5e président depuis l'indépendance.
Ce sera l’épilogue de nombreuses tensions exacerbées par la tentative du président Macky Sall de reporter le scrutin.
Le vote, initialement fixé au 25 février, avait en effet été reporté sine die à la veille de la campagne électorale le 3 février dernier, suscitant ainsi de nombreuses manifestations de rues. Trois sénégalais ont perdu la vie alors que des dizaines d’autres ont été blessées.
La loi d’amnistie qui a permis la libération du candidat Bassirou Diomaye Faye et du”charismatique” Ousmane Sonko a décrispé l’atmosphère socio-politique.
Pour autant, la tentative du président Macky Sall de reporter la présidentielle a laissé des traces. Elle a terni l’image de marque de la démocratie sénégalaise, présentée comme un modèle dans un continent familier des coups d’État.
Elle a aussi mis en exergue les énormes pouvoirs du chef de l’État.
Interrogée par TRT Français, Aminata Touré, ancienne Première ministre de Macky Sall de 2012 à 2013, passée à l’opposition, parle du chef de l’État sénégalais comme d’un “monarque constitutionnel”.
Les observateurs relèvent aussi un affaiblissement des institutions chargées de garantir l'État de droit, de favoriser la participation politique et d'assurer la reddition des comptes des pouvoirs publics au Sénégal.
“La Justice présente des insuffisances manifestes à réguler le contentieux politique au Sénégal depuis des années. La perception qu’elle n’est pas ‘indépendante’, pas ‘impartiale‘, qu’elle est 'sélective’ et qu’elle est ‘une justice de deux poids deux mesures‘ est durement ancrée dans l’imaginaire des Sénégalais”, souligne le think thank sénégalais Afrikajom Center, dans un rapport publiée en mai dernier.
Le pays a ainsi traversé sa plus grave crise politique, lorsqu’en 2023 Macky Sall a laissé planer le doute sur la validité d’un troisième mandat. Il a dû renoncer en définitive à toute ambition présidentielle, au prix d’une répression soldée par la mort de 60 citoyens et l’arrestation de plus d’un millier de personnes.
À l’occasion, des défenseurs des droits humains ont regretté “la criminalisation des opinions dissidentes et de l’opposition politique”, suite à l’arrestation des activistes comme Boubacar Sèye, Guy Marius Sagna, Mor Talla Gueye, le professeur Cheikh Oumar Diagne, etc.
L’affaiblissement de la liberté de la presse au Sénégal s’est aussi accentué avec notamment, l’interruption brutale et récurrentes des signaux des télévisions Walf TV et SENE TV. L'interpellation des journalistes comme Babacar Touré, Adama Gaye, Pape Ndiaye ou encore Pape Alé Niang sous divers “préetextes”, participent de l’affaiblissement de la presse sous Macky Sall.
Lutter contre “l’hyperprésidentialisme”
Pour redonner à la démocratie sénégalaise sa splendeur d’antant et éviter “tout genre d’aventures”, Aminata Touré prône des “réformes à même d’approfondir la démocratie sénégalaise... Il faut lutter contre l’hyperprésidentialisme qui donne tous les pouvoirs au président de la République (qui) nomme aux fonctions civiles et militaires, décide de l’orientation du pays,etc.”
“C’est trop de pouvoirs sans contre-pouvoir et comme partout en Afrique, cela se termine toujours mal”, s’indigne-t-elle.
Interrogé par The Conversation, Abdoul Aziz Mbodji, professeur de droit constitutionnel à l’université de Bambey au Sénégal, soutient qu’il est crucial d'élargir le champ de compétence du Conseil constitutionnel en précisant sa compétence face aux lois de révision ainsi qu'à toutes les matières relatives aux élections nationales. De même, une réforme du mode de nomination des membres du Conseil constitutionnel est nécessaire pour briser le monopole présidentiel sur les nominations”.
“L'extension du droit de saisine aux partis politiques, aux citoyens et aux organisations de la société civile est également importante” insiste-t-il.
Pour sa part, le think tank Afrikajom Center égrène un chapelet de propositions au rang desquelles : “l’adoption d’un nouveau code électoral consensuel, le renforcement des institutions judiciaires et les institutions de lutte contre la corruption et les infractions assimilées ; la réforme de la Justice pour la rendre indépendante et l’émanciper des fourches caudines de tous les pouvoirs et de tous les groupes de pression ; la refondation du Conseil constitutionnel pour plus d’indépendance et d’impartialité vis-à-vis des autres pouvoirs”, outre la dépénalisation des délits de presse.