Le nouveau gouvernement travailliste devait renoncer, sous peu, à la motion d’ajournement britannique à la Cour pénale internationale (CPI) concernant l’émission d’un mandat d'arrêt à l'encontre de Benjamin Netanyahu pour des crimes de guerre à Gaza.
Au lendemain de la victoire écrasante de son parti sur les conservateurs, Keir Starmer, le nouveau Premier ministre britannique, a pris la peine d’assurer le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, de ses bonnes intentions à l’égard de la question palestinienne.
Le même Starmer qui avait risqué sa position à la tête du parti en s’opposant à un vote appelant au cessez-le-feu à Gaza, ne retient plus son affliction quant aux "souffrances continues et des pertes humaines dévastatrices" dans le territoire palestinien.
Il aurait même interpellé Benjamin Netanyahu au sujet de la nécessité "évidente et urgente" d'un cessez-le-feu à Gaza et soutenu qu’il était important de "veiller à ce que les conditions à long terme d'une solution à deux États soient en place”.
Assumant déjà une stature globale du chef de gouvernement d’une puissance mondiale, Starmer a jugé "très préoccupante" la situation à la frontière israélo-libanaise, où les échanges de tirs se transforment inéluctablement en guerre ouverte avec le Hezbollah, et qu'il était "crucial que toutes les parties agissent avec prudence".
Au centre, toute!
Ce recadrage massif n’est probablement pas dû à une réévaluation de la situation au Moyen-Orient. Tout porte à croire que la percée notoire des candidats “indépendants” qui a fait perdre au Labour autant de sièges aux élections législatives britanniques. En parcourant rapidement leur profil, on se rend compte qu’ils ont en commun la défense des droits des Palestiniens et des positions marquées contre la guerre israélienne à Gaza.
Les sondages d’opinion et projections de data avançaient déjà un chamboulement de l’assise électorale des Labour dans les circonscriptions à grandes concentrations de musulmans, à cause du refus obstiné de la direction à s’aligner sur l’indignation dominante dans les bases du parti quant aux crimes de guerre perpétrés par l’armée israélienne à Gaza. Des pronostics qui n’ont pas été pris au sérieux en partant du principe que la pratique politique britannique, ce sont les clivages sociaux qui orientent les choix plutôt que les démarcations ethno-culturelles.
Résultat: cinq candidats “indépendants”, et non des moindres, ont raflé des sièges historiquement travaillistes, sous le nez de Starmer et ses conseillers.
À Leicester South, ville industrielle des Midlands anglais, l'influent Jonathan Ashworth a perdu son siège par 979 voix au profit de Shockat Adam, un candidat indépendant qui a fait de son soutien à Gaza un élément clé de sa campagne électorale. Une défaite d’autant plus surprenante qu’Ashworth, membre du cabinet fantôme travailliste, avait conservé son siège même dans les élections de 2019 lorsque le parti a essuyé sa pire défaite depuis 1935.
À Islington North, l’ancien chef du Labour Jeremy Corbyn a été réélu au siège qu'il occupe depuis 1983, mais cette fois-ci en tant qu'indépendant et non pour le parti travailliste. Figure de proue de l’aile gauche du Labour pendant de longues années et défenseur de droits humains de renommée internationale, Corbyn a été exclu par les instances du parti sous l'invraisemblable allégation de prolifération d’actes de discrimination sous sa direction. Ce qui est plus avéré, c’est que les plaintes pour “antisémitisme” déposées contre lui avaient atteint un seuil record.
Ce qui n’a pas empêché Corbyn d’obtenir 49,2 % des voix dans sa circonscription, tandis que le candidat travailliste est arrivé loin derrière avec 34,4 %.
“Islington North veut un gouvernement qui, sur la scène internationale, soutiendra la paix et non la guerre, et ne permettra pas que perdurent les terribles conditions qui prévalent actuellement à Gaza", a-t-il déclaré.
À Blackburn, le candidat indépendant Adnan Hussain a éclipsé la députée travailliste sortante Kate Hollern, qui avait pourtant remporté une majorité de 18 304 voix lors des élections générales de 2019.
À Dewsbury et Batley, l'indépendant Iqbal Mohamed a également battu la sortante travailliste Heather Iqbal.
À Birmingham Perry Barr, le candidat indépendant Ayoub Khan a battu le candidat travailliste Khalid Mahmood par 507 voix.
Les parias raflent la mise!
Là où les candidats “indépendants”, anciens travaillistes désavoués, n’ont pas gagné le siège, ils ont affaibli les candidats attitrés du parti. À Chingford et Woodford Green, une circonscription de l'est de Londres, le vote de gauche s'est réparti entre le candidat travailliste et Faiza Shaheen qui a été évincée par le parti pendant la campagne, ce qui a permis au député conservateur sortant, Iain Duncan Smith, de conserver son siège.
"Notre vote était une combinaison de ceux qui ont été consternés par la façon dont j'ai été traitée, ceux qui se sont opposés à la présence d'un candidat imposé qui ne nous connaissait pas, ceux qui n'allaient jamais voter pour le parti travailliste après la position de Starmer sur Gaza, et ceux qui n'avaient jamais voté auparavant", a écrit Mme Shaheen sur X après le résultat.
Le parti travailliste craignait de perdre des voix sur la question de Gaza depuis que M. Starmer s'est attiré les critiques de certains milieux pour les commentaires qu'il a faits l'année dernière, peu après l'attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre et l'assaut israélien contre Gaza qui s'en est suivi.
En octobre dernier, l’audience de la station de radio populaire LBC a été sidérée en écoutant Starmer, ancien avocat spécialisé dans les droits de l'homme, déclarer qu'Israël avait le droit de priver les civils palestiniens de Gaza d'électricité et d'eau, soulignant toutefois que tout cela "doit être fait dans le respect du droit international".
Si la crise a permis aux états-majors des partis britanniques de constater de visu qu’il y a bel et bien un “vote musulman” avec lequel il faudrait compter dans l’élaboration de leurs positions et la composition de leur langage, c’est aux musulmans britanniques maintenant et aux défenseurs de droits humains de tous bords, d’évaluer quoi en faire et comment s’y prendre.