Le port du foulard est une fois de plus, au cœur des débats politiques en France.
Dans une interview au "Parisien", lundi 6 janvier, le ministre de l’intérieur Bruno Retailleau s’est dit favorable à l’extension de l’interdiction du port du foulard dans l’espace public notamment dans les compétitions sportives, les sorties scolaires et le milieu universitaire.
Pour lui "la loi de 2004 sur les signes religieux doit être appliquée à ces activités : les sorties scolaires, c’est l’école hors les murs et les accompagnatrices n’ont pas à être voilées".
"Le voile n’est pas qu’un simple bout de tissu : c’est un étendard pour l’islamisme et un marqueur de l’infériorisation de la femme par rapport à l’homme", a-t-il lancé, en souhaitant une mesure législative en ce sens.
Il assure pourtant aux "citoyens musulmans que [le gouvernement] ne mène pas un combat contre leur religion".
Selon le Conseil d’État, les parents participant aux sorties scolaires ne sont pas considérés comme des agents auxiliaires du service public, donc non soumis à l'obligation de neutralité religieuse. Ainsi, les mères musulmanes peuvent porter le voile lors des réunions parents-professeurs ou lors des sorties scolaires.
Nicolas Cadène critique les propositions de Retailleau
Nicolas Cadène a vivement réagi aux déclarations de Retailleau. Selon l’ancien rapporteur de l’Observatoire de la laïcité, les propositions du ministre français de l'Intérieur traduisent une confusion sur la portée de la loi de 2004 et de la neutralité.
Dans une série de tweets publiés ce mardi, Nicolas Cadène a rappelé que "les parents accompagnateurs ne sont ni des élèves, ni des agents publics". À ce titre, ils ne sont pas soumis à la loi de 2004, qui concerne les élèves, ni au devoir de neutralité, réservé aux agents publics.
L’ancien rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité accuse le ministre de déformer les fondements mêmes de la loi. "La neutralité ne s’applique qu’aux agents publics pour garantir que tous les citoyens soient traités à égalité, quelles que soient leurs convictions", souligne-t-il. L’expert en laïcité rappelle que la loi de 1905 protège avant tout la liberté de conscience et ne vise pas à restreindre l’expression des croyances individuelles.
Concernant l’université, il critique l’idée d’étendre la loi de 2004 à un espace historiquement lié à la liberté de pensée. "La commission Stasi n’a jamais voulu que cette loi s’applique à l’université. Cela n’aurait aucun sens", affirme-t-il, expliquant que cette mesure était initialement destinée aux élèves en situation d’apprentissage.
Des années de débats
Invité ce mardi 7 janvier sur RTL, Retailleau a réitéré son souhait. "Par exemple, le sport. Vous vous souvenez des hijabeuses qui ont opposé la Fédération française de foot qui a gagné devant le conseil d’État. J’avais fait voter, moi, au Sénat, un texte qui n’a pas été repris par l’Assemblée nationale, pour condamner le voile lors des compétitions sportives", a rappelé le ministre.
En 2021, l’actuel ministre de la Justice, Gérald Darmanin s’était d’ailleurs opposé à ce texte.
En 2023, lors d'un nouveau débat au Sénat sur la laïcité, le sénateur écologiste Thomas Dossus critiquait la droite sénatoriale pour son "instrumentalisation" de la laïcité, évoquant un "fumet de racisme et une discrimination des citoyens de confession musulman”.
Henri Cabanel, sénateur, alertait, lui, sur le risque d’exclusion de certains élèves des sorties scolaires, en raison de ces mesures. "Cette disposition nie une réalité grandissante dans notre territoire : dans certaines classes vous priverez certains élèves de sorties scolaires", avait-il argumenté.
Lors d’un précédent débat, Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Éducation, avait mis en garde contre les risques d’une loi excessive. Il soulignait que "les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires".
20 ans d’interdiction
La France fait figure d’exception parmi de nombreux pays occidentaux où le port du voile à l’école ne pose aucun problème. L’interdiction du voile à l’école puis dans les entreprises au nom du principe de neutralité cristallise un sentiment de discrimination chez les uns et des peurs et amalgames chez les autres.
Selon un sondage de l’institut Ifop en 2021, 52% des lycéens et 50% des collégiens sont favorables au port de signes religieux, kipa, voile, croix ou autre, au sein des établissements scolaires. Ils sont 43% à penser que les lois de 2004 contre les signes religieux à l'école et de 2010 prohibant le voile intégral dans l'espace public sont "discriminatoires".
Les polémiques islamophobes, régulières depuis 2004, touchent souvent les femmes musulmanes et leur tenue vestimentaire : voile classique, voile intégral, burkini, abaya, horaires de piscine, accompagnement des jeunes dans les sorties scolaires, etc.
Selon le Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE), sur les 527 actes islamophobes répertoriés en 2022, 80% des actes ont été dirigés contre les femmes musulmanes voilées.