Depuis quelques semaines, la compagnie pétrolière émiratie Taqa tente de racheter des actions du géant espagnol Naturgy. En plus de déranger le gouvernement espagnol, s’agissant d’un secteur stratégique, cette OPA peut être très mal perçue du côté algérien qui détient, par le biais de la Sonatrach, plus de 4% des parts de la société ibérique.
Alger, en froid avec Abu Dhabi, ne verrait pas d’un bon œil cette transaction qui permettra aux Émirats arabes unis (EAU) de mettre la main sur l’entreprise gérant le flux des 5 milliards de m3 de gaz algérien par an vers l’Espagne.
Une source proche du dossier a ainsi déclaré à l’agence Reuters le 6 mai dernier: “l’Algérie annulera ses livraisons de gaz à Naturgy si les actions de la société espagnole sont vendues à une autre société”, sans citer le fonds d’investissement émirati.
Cette nouvelle crise qui se profile à l’horizon s’ajoute donc à un froid glacial qui dure depuis plusieurs mois entre l’Algérie et les EAU. Une guerre sourde impacte les relations entre les deux pays “frères” depuis qu’un communiqué de la présidence algérienne a accusé, en janvier dernier, “un pays arabe frère” de s’adonner à des “agissements hostiles” dans la région du Sahel.
Froid glacial entre les Émirats et l’Algérie
Les autorités algériennes n’ont, toutefois, pas cité de pays précis. Mais tous les regards se sont dirigés vers Abou Dhabi avec qui les relations s’étaient détériorées à vue d’œil depuis plus d’un an.
A plusieurs reprises, en effet, des médias algériens ont émis de sévères critiques envers les Émirats arabes unis, suite à l’annonce, par les autorités émiraties, d’investissements dans le Sahara occidental, sous administration du Maroc et réclamé par le front polisario soutenu par l’Algérie.
La crise était telle qu’une chaîne de télévision privée algérienne avait annoncé, à l’été 2023, que l’ambassadeur des Émirats avait été expulsé. Le ministère algérien des Affaires étrangères s’était alors empressé de démentir l’information et le ministre de la Communication de l’époque avait été limogé le soir même. Cependant, beaucoup y avaient vu un signe de dégradation des liens entre les deux pays.
Puis, la secrétaire générale du Parti des Travailleurs (PT, opposition de gauche ouvrière), Louisa Hanoune, en a rajouté une couche. Lors d’une conférence de presse, le 13 décembre 2023, soit quelques jours seulement après avoir été reçue en audience par le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, elle a affirmé que les Émirats arabes unis avaient “déclaré la guerre” à l’Algérie en “finançant la contrebande” à ses frontières.
Les Émirats investissent dans le Sahara occidental
“J’ai insisté [lors de la rencontre avec le président] sur le danger que constitue, précisément, l’État des Émirats qui a déclaré la guerre à notre pays par le biais de plans criminels qu’il compte exécuter pour déstabiliser notre pays au profit de l’Entité sioniste [Israël]”, a fulminé Louisa Hanoune, qui a notamment appelé à geler tous les projets de coopération économique existant entre les deux pays.
Par “projets économiques”, la responsable politique fait allusion aux innombrables investissements émiratis en Algérie qui assurent la gestion notamment du Port d’Alger et détiennent des participations importantes dans des sociétés de production de tabac et même dans une entreprise de production d’engins mécaniques de l’armée.
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Jusqu’à présent, ces collaborations n’étaient pas vraiment remises en cause. Une seule décision a été annoncée par les autorités algériennes. Dans un courrier envoyé le 30 janvier à la Chambre nationale des notaires, il est précisé que plus aucun contrat privé ne doit être signé en lien avec la Société des tabacs algéro-émiratie (STAEM) et la United Tobacco Company, autre entreprise mixte algéro-émiratie. Malgré cela, les autorités des Emirats n’ont pas réagi.
Deux mois après la première salve, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, pointe, à nouveau, du doigt les Émirats, sans les citer nommément. “Partout où il y a des conflits, l’argent de cet État est présent, au Mali, en Libye, au Soudan”, a-t-il lancé lors d’une intervention télévisée le 31 mars dernier.
Plus encore, “leurs agissements (les Emiratis) ne sont pas logiques”, a précisé le chef de l’État estimant que les dirigeants du pays en question ont été conduits au “péché” par “l’orgueil”, n’acceptant pas le fait qu’on leur “refuse ceci ou cela”. Tout en rappelant que son pays considérait les citoyens du pays en question comme “des frères”, il a mis en garde : “l’Algérie ne plie pas” et “la patience a des limites”.
“Volonté de déstabilisation…”
Pour la première fois, les propos du chef de l’Etat algérien ont fait réagir les Emiratis. Anwar Gargash, conseiller spécial du président des Emirats, Mohamed ben Zayed Al Nahyane et ancien ministre des Affaires étrangères, a qualifié “les allusions” algériennes “d’étranges” et affirmé que ”choisir de ne pas répondre et de patienter face à ces provocations restera notre voie, car la sagesse est un héritage de notre leadership qui considère les relations avec les pays frères comme une priorité et un pilier central de notre politique.”
La même attitude de “retenue” a été recommandée aux médias de ce pays, apprend-t-on de sources bien informées.
Mais que reproche exactement l’Algérie aux Émirats-Arabes Unis ? Ali Bensaad, professeur à l’Institut français de géopolitique de Paris, estime que c’est “pour enfoncer encore plus l’Algérie dans” une impasse créée par la crise sécuritaire au Sahel “que les Emirats interviennent” en cherchant à créer “un abcès de fixation militaire aux frontières Sud de l’Algérie”.
“Cela fait plusieurs années que les Émiratis se positionnent dans le Sahel et dans d’autres régions d’Afrique, plus particulièrement au Soudan”, a précisé un ancien ambassadeur algérien dans plusieurs capitales africaines. Des accusations que les Émirats arabes unis ont démenties officiellement, s’agissant notamment du Soudan.
La dégradation des relations entre Alger et Abu Dhabi coïncide par ailleurs avec la signature des Accords d’Abraham en 2020. Les Émirats se sont alors rapprochés du Maroc qui a pu acquérir des technologies militaires israéliennes. Un geste que les autorités algériennes ont vu comme hostile. Cette coopération à trois, entre le Maroc, les Émirats et Israël a également poussé Abu Dhabi à lancer des investissements importants au Sahara Occidental. Un geste de «trop» qui a fâché l’Algérie selon des observateurs. Alger ne l’a jamais exprimé publiquement, tout comme elle n’a jamais accusé solennellement les Émirats directement. Mais le froid est bien là entre les deux pays.