Décryptage avec Ousmane N’Diaye, rédacteur en chef Afrique à TV5 Monde.
Le 18ᵉ Sommet de la Francophonie vient de se dérouler à Djerba en novembre dernier. Quel bilan peut-on tirer de ce sommet ? Quelles avancées et quelles difficultés avez-vous pu observer sur le terrain ?
Première chose, je rappelle que tout sommet de la francophonie est toujours rattrapé par les questions politiques. Ce sommet n’a pas échappé à la règle, car il a été marqué par la guerre à l'est du Congo. Elle s'est imposée dans l'agenda officiel parce que dès le premier jour, la République Démocratique du Congo, qui est le pays francophone le plus grand en termes d'espace, est le premier pays francophone à boycotter la photo de famille. En effet, le Premier ministre congolais, qui représentait son pays, a préféré ne pas être sur la photo de famille pour éviter de s'afficher à côté du président rwandais Paul Kagamé, accusé de soutenir au Congo, une rébellion armée qui s'appelle le M23.
Deuxième chose, malgré cette position de plus en plus difficile de la France en Afrique, remise en cause dans une guerre d'influence menée contre la France par la Russie et d'autres acteurs, la France réussit à se maintenir comme élément clé de la francophonie. D’ailleurs, le prochain Sommet de la Francophonie se tiendra à Villers-Cotterêts où la France, sous l’impulsion du Président Macron, est en train de développer un grand projet de Cité internationale de la Francophonie.
Troisième chose, le discours du président Kaïs Saïed a été marquant. On sent chez le Président tunisien un certain amour de la langue française. Il a fait un discours plein de références aux Lumières et Victor Hugo. Mais en même temps, il a semblé défendre une primauté de l'arabe en Tunisie en citant Camus. Donc, il y a une forme d'ambiguïté du discours de Saïed et chez beaucoup de dirigeants de pays africains. Le Bénin et le Gabon ont opté pour le Commonwealth, il y a quelques mois. Dans la guerre d'influence, il y a peut-être selon eux une position tout à fait africaine et réaliste à prendre. On est dans la francophonie, mais cela ne nous empêche pas d'être aussi dans l'anglophonie, si je puis dire.
La langue française, élément clé de la diplomatie culturelle et du soft power français, serait en recul par rapport à d'autres langues européennes comme la langue anglaise. Dans le cadre de ce sommet, est-ce que la France a promu des projets pour essayer d’y remédier ?
La francophonie, ce n'est pas la France, donc elle n’a pas à porter sur ses épaules le projet francophone. La France est minoritaire dans la francophonie institutionnelle et elle n'est même pas membre fondateur de la francophonie. Il faut quand même toujours rappeler l'histoire. L’OIF, l'Organisation internationale de la Francophonie, a été fondée par des Africains, les Présidents Senghor, Diori et Bourguiba. Ils voulaient réinventer justement le rapport à la France. A l’indépendance des pays africains, ils avaient besoin d'une langue internationale car le multilinguisme y est très important. Il fallait une lingua franca, une langue commune, pour faire nation au moment où beaucoup de langues africaines n'étaient pas encore codifiées. Enfin, ces dernières années, il faut rappeler que, parmi les pays moteurs de la francophonie, la France n’y figure pas. Ce sont le Canada, la Suisse, Monaco ou encore la Belgique qui ont déployé des efforts importants.
Selon vous, peut-on faire l'économie, lors des futurs sommets de la Francophonie, d'un débat sérieux, profond et fécond sur la période coloniale ?
Le débat sur le post-colonial a souvent eu lieu lors des sommets. Prenons un exemple juste sur la question coloniale. Il ne faut pas oublier qu’un des pays ayant le plus critiqué la France et son rôle en Afrique, c'est le Rwanda. Pourtant, c’est ce même Rwanda qui est aujourd'hui à la tête de l'organisation. La francophonie est en profonde mutation. De toute façon, la question post-coloniale, on ne peut plus l’éviter, car la jeunesse africaine et les sociétés africaines la posent maintenant. Tout est question de savoir si le débat va être constructif et évolutif ou alors va-t-il être un débat de remords, de ressentiments et de haine de l'autre ? Il faut faire attention parce qu'il ne faudrait pas, au nom de la colonisation, que l’on construit d'autres châteaux de haine contre l'Occident ou tout autre civilisation.
Il faut toujours se rappeler des propos de Kateb Yacine quand il considérait la langue française comme un butin de guerre. Les Africains doivent rompre avec ce complexe de l'héritage, c’est à dire que cette langue française nous est extérieure et dont les Français auraient plus de droit sur cette langue. Pourtant, les Africains la parlent, la maitrisent et la défendent souvent mieux que les français de France. Non, il faut le dire avec force, la langue française est devenue une langue africaine !