Un rapport controversé
Début décembre, la préfecture de la région Hauts-de-France, avait mis un terme au contrat liant l'Etat français au lycée privé musulman Averroès.
Mediapart a relevé de nombreuses erreurs et omissions qui ont servi de prétexte à la résiliation du contrat avec le lycée privé musulman Averroès, prévue à la rentrée scolaire de 2024.
Cette décision privera l’établissement de la subvention de l'Etat, estimée à un demi-million d'euros par an, qui permettait, jusqu'à présent, de verser les salaires des enseignants.
Elle intervient après un avis favorable de la Commission académique consultative qui s’est dite favorable à la résiliation du contrat qui lie l’Etat à cet établissement privé qui avait été désigné en 2013 meilleur établissement de France.
Ladite Commission avait rendu son avis, suite à une requête du préfet de la région Hauts-de-France, sur la base d’un rapport de douze pages accusant notamment le lycée privé de “séparatisme”, d'”irrégularités” dans sa gestion financière et de dispenser un enseignement contraire “aux valeurs de la République”.
Mediapart a fait ressortir les nombreuses erreurs et omissions du rapport de la préfecture.
Cours d'éthique
Le rapport de la préfecture met en cause par exemple le cours d'éthique musulmane, jugé “salafiste”, en s’appuyant sur un “article de blog” de l’auteur Mohamed Louizi. Mais selon Mediapart, le préfet “omet de préciser” que Louizi n’a aucun lien avec le lycée Averroès, qu’il n’a jamais été intervenant dans l’établissement, ni membre de l’équipe éducative et n’a jamais assisté au cours en question.
Bien au contraire, il se trouve que Louizi est un essayiste d'extrême droite, qui appelle sur son blog à voter pour Marine Le Pen, et qui milite depuis des années contre le lycée musulman.
“Macron fera de la France ce que le FIS (le Front islamique du salut) a fait de l’Algérie”, peut-on lire sur son blog.
Le rapport préfectoral pointe également les écrits de blog d’un enseignant chargé du cours d'éthique, publiés après les attentats de Charlie Hebdo, laissant penser qu’il les cautionnait, lui reprochant notamment la phrase suivante: “Si l’humour de Charlie Hebdo ne me fait pas rire, il ne faut pas m’en tenir rigueur, car je ne souris qu’à la beauté”.
Or, dans le même article l’enseignant d'éthique condamne sans équivoque dans les termes suivants : “Je me suis profondément indigné devant le crime porté contre Charlie Hebdo. Non pas en tant que musulman ou citoyen français, mais, tout simplement, en tant que membre du corps de l’humanité”
Par ailleurs, l’enseignant mis en cause, n'enseignait plus depuis 18 mois dans l'établissement privé lorsque la préfecture a décidé de résilier le contrat.
Financement du Qatar
La préfecture reproche également au lycée de bénéficier de fonds octroyés par l’ONG "Qatar Charity". S’il est vrai que le lycée a bénéficié de dons de l’ONG en question entre 2011 et 2015, le rapport omet de préciser que ces financements sont non seulement parfaitement légaux mais qu’ils étaient connus de la région Hauts-de-France.
Un rapport d’inspection de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR) de juin 2020, “passé sous silence par le préfet”, mentionne clairement la connaissance et la légalité de ces dons dans les termes suivants:
“Cette pratique est légale à condition qu’elle ne soit pas subordonnée à la mise en œuvre de conditions qui seraient contraires aux valeurs de la République [...]. Ce don n’a été assorti d’aucune condition. La région des Hauts-de-France en est par principe informée”
Eric Dufour, proviseur de l'établissement, ne manque par ailleurs pas de souligner que l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne a également “reçu la somme de 600. 000 euros en 2015, 600.000 euros en 2016, et 600.000 euros en 2017 de la part du Qatar”.
“Valeurs républicaines”
En outre le rapport de l’IGÉSR, rend un verdict plutôt élogieux sur l'établissement privé, saluant “le projet éducatif du lycée Averroès” qui est “le seul dans le paysage éducatif français à allier une conception musulmane de l’éducation à l’enseignement des valeurs républicaines”
“La multitude des projets et des ateliers est éloquente par rapport au nombre d’enseignants présents ; des personnalités, comme M. Benjamin Stora ou Mme Askolovitch par exemple, ont ainsi été invitées à témoigner dans l’établissement pour parler de la guerre d’Algérie ou pour évoquer la Shoah et les camps de concentration. Enfin, la participation au concours national de la Résistance et les actions menées avec le ministère des armées ou encore la police nationale sont des signes d’intégration au tissu national”, souligne encore le rapport de l’IGÉSR.
L’IGÉSR conclut enfin que rien dans les constats faits par la mission, en particulier autour des documents de préparation des cours remis par des enseignants, “ne permet de penser que les pratiques enseignantes divergent des objectifs et principes fixés et ne respectent pas les valeurs de la République”.
Les avocats et directeurs de l'établissement ont dénoncé à plusieurs reprises, une “discrimination”, un “deux poids deux mesures” et se sont engagés à user de toutes les voies de recours pour maintenir le contrat du lycée avec l’Etat.